mardi 11 mars 2014

Collaboration pour le bien commun entre chrétiens et musulmans : réflexions préalables et questions à poser pour des relations dans la clarté.


Réflexions préalables :


1) La question de la collaboration de chrétiens avec des musulmans en vue du bien commun politique et civique implique d’abord une précision : s’agit-il d’œuvrer avec des personnes de conviction islamique agissant en fonction des exigences de leur appartenance à l’ensemble idéologico-politico-religieux, culturel et moral appelé « islam » ou en tant que simples citoyens ?

Pour les chrétiens, les musulmans, avant d’être des adeptes et des croyants, sont certes d’abord des personnes avec leurs qualités et défauts selon la diversité humaine et, selon les individus, avec la conscience de la loi naturelle de distinction du bien et du mal qui réside au cœur de tout homme, plus ou moins claire ou obscurcie. Il n’y a donc a priori aucune difficulté de principe à collaborer avec des musulmans en tant que citoyens en vue de mesures d’intérêt général, qu’il s’agisse par exemple d’urbanisation, de sécurité et lutte contre la délinquance, de protection de l’environnement…

Mais bien sûr, beaucoup de choix politiques sont éclairés par le système de croyances, valeurs et référents idéologiques auquel adhèrent les personnes. Ainsi l’islam détermine non seulement le comportement personnel et relationnel de ses adeptes, leur mode de vie et de mœurs mais aussi, pour les plus agissants, leurs visées de stratégie militante plus ou moins explicites. Nous parlons ici, bien entendu, des musulmans pour lesquels l’affirmation de leur identité islamique va de soi et non de ceux pour lesquels elle ne subsiste plus que comme un vague souvenir d’appartenance sociologique.

Il faut donc ici rappeler que pour tous les musulmans simplement fidèles, et pas seulement pour ceux aujourd’hui qualifiés « d’islamistes », l’islam n’est pas seulement une religion mais tout à la fois une croyance religieuse et un ordre politique, juridique, social, culturel, un ordre « moral », donc de « mœurs », une forme de vie communautaire. C’est cette évidence qui justifie la désignation de l’islam comme une théocratie totalitaire selon le modèle du gouvernement de Mahomet à Médine.

Le corpus idéologico-religieux de l’islam a certes pris ensuite des formes civilisationnelles et culturelles accidentellement différentes selon les époques et les peuples et les quatre principales écoles d’interprétation juridiques de la charia.

L’affirmation dogmatique dans sa dimension religieuse en est d’autant plus puissante qu’elle est réduite. Pour l’essentiel, le fondamental, c’est le dogme répété, martelé, de l’unicité de Dieu. Il est énoncé plus de mille fois dans le Coran et les hadiths. Il est proclamé et clamé sans cesse, chaque jour, des millions de fois, du haut des minarets avec toute l’amplification sonore des haut-parleurs. La seule adhésion à ce seul dogme qu’énonce la profession de foi, « la shahada » signifie la conversion. (« J’affirme qu’il n’y a pas d’autre dieu que Dieu et que Mahomet est son prophète ».)

L’affirmation « associationniste » d’un Dieu en trois personnes horrifie les musulmans. Elle vaut la damnation éternelle de ceux qui la professent. C’est le seul péché, blasphème épouvantable, qu’Allah « le miséricordieux », ne pardonne pas. Cela est répété des centaines de fois dans le Coran et les hâdiths.

C’est cela que l’on enseigne, car il ne saurait en être autrement, aussi bien dans le sunnisme, que ce soit à la Mosquée de Paris se voulant « modérée » ou dans celles des différents salafismes, que dans les diverses traditions chiites.

Si bien intentionnés soient-ils spontanément, on admettra tout de même que la certitude absolue chez les musulmans de ce que les chrétiens sont promis à la damnation éternelle peut n’être pas tout à fait sans influence sur ce qu’ils pensent d’eux, certes le plus souvent sans le leur dire : ils sont maudits !

D’autre part, le sentiment le plus unanimement invoqué et partagé par l’ensemble des musulmans, par-delà toutes leurs divisions et leurs guerres, est celui de la commune appartenance à « l’umma », la communauté islamique « la plus belle qui ait été produite pour les hommes » (S 93, v. 110)

Voilà pourquoi, de même qu’un chrétien souhaite aux musulmans, parce qu’il les aime, la conversion à la personne et à l’Évangile du Christ, les musulmans veulent que les chrétiens fassent leur soumission (islam signifie « soumission ») à Dieu et à son prophète, c’est–à-dire à la totalité de son modèle idéologico-religieux. Et notamment à la conception de la femme, inférieure à l’homme qui y est affirmée, sur les deux plans de la « raison » et de la « religion ».

Ce qui, en effet, explique l’opposition des musulmans aux divagations nihilistes de l’idéologie du « genre ». Mais pas pour les mêmes raisons que les chrétiens qui professent l’égalité fondamentale de l’homme et de la femme ! Selon de multiples hâdiths, tel que celui-ci, le Prophète ne déclare-t-il pas « Le témoignage de la femme n’équivaut-il pas à la moitié de celui de l’homme ? Eh bien ! Cela provient du manque de sa raison (Al-Bokhari, T. XLVIII, ch. 12, « Les témoignages »).

L’ « umma » signifie aussi « la mère », de même que le Coran est la révélation de l’ « Um-el-kitab », le Livre « mère », le Livre matriciel, incréé, éternel.

Ainsi pour les musulmans, par-delà toutes les autres appartenances, tribales, raciales, nationales, l’emporte la conscience d’appartenance à l’umma, valeur suprême.


Sauf une appartenance superficielle à l’islam, un éloignement de fait sinon de rupture, il est peu probable qu’une personne s’affirmant musulmane puisse sans restriction mentale, sans politesse de complaisance et sans dissimulation de ce qu’elle croit, nier ce qui précède.

Questions à poser aux musulmans avec lesquels on est susceptible de collaborer.

Avec toute la délicatesse mais aussi la franchise requise, il n’est donc pas inutile, pour une éventuelle action politique commune telle que le refus de lois iniques, de poser aux personnes musulmanes les questions suivantes :

1) Vous faites partie de l’oumma islamique. Dans les pays où règne l’islam, on affirme partout l’impératif exprimé dans le Coran « Pas de contrainte en religion !» (S 92, v. 256), pour faciliter la conversion des non-musulmans à l’islam. Mais inversement le passage de l’islam à une autre religion vaut la prison voire la mort. Acceptez-vous cela ? Signeriez-vous des pétitions de musulmans demandant la liberté religieuse partout dans les pays d’islam ? Et de même, souhaitez-vous les mêmes droits politiques, civiques et sociaux pour les non-musulmans et les musulmans ?

2) Vous qui tournez votre prière vers La Mecque, la ville sainte de votre religion, interdite tout comme Médine aux non-musulmans, trouvez-vous légitime que le moindre signe d’appartenance au christianisme, partout ailleurs en Arabie Saoudite, y soit très durement puni ? Et que toute assistance à une prière partagée, la plus discrète soit-elle, ou à un office religieux, même le plus caché, y fasse risquer la prison, et même la mort pour celui qui vient de l’islam ?

3) Selon les impératifs islamiques aucune part, un non-musulman ne peut épouser une non-musulmane sans se convertir à l’islam alors qu’un musulman peut librement épouser une non-musulmane, étant prescrit que les enfants seront obligatoirement musulmans. Acceptez-vous d’exprimer que cela doit être changé et que soit établie une exacte réciprocité de droits ?

4) Acceptez-vous que les textes sacrés de l’islam (Coran et hadiths) puissent, comme ceux du judaïsme et du christianisme, faire l’objet d’une liberté d’exégèse, de discussion, d’interprétation et d’une lecture au risque de la critique ?

5) Toujours dans la logique de votre attachement à l’umma et de votre droit de fidèle d’en suivre la vie et de participer à ses évolutions, acceptez-vous de souhaiter publiquement la liberté religieuse pour tous et les mêmes droits pour les non-musulmans en pays d’islam que ceux dont bénéficient les musulmans dans les pays d’identité chrétienne et de laïcité ?

Bernard Antony