Notre
université d’été à Lourdes sur les hauteurs des sanctuaires aujourd’hui inondés
aura pour finalité d’essayer de comprendre ensemble les grandes pulsions qui
agitent notre monde. Et de dire ce que nous croyons pouvoir faire en tant que
Français et chrétiens devant sa réalité.
Esquissons
ici ce que sera le fil de nos échanges.
D’abord
nous partirons de l’observation du phénomène des grandes manifestations
nationales de foules protestataires qui, de l’Ukraine au Brésil, en passant par
les illusoires printemps « arabes », et le non moins illusoire
printemps turc, les mouvements d’indignés et la Manif pour tous, a nourri
l’actualité de ces cinq dernières années.
Les
politologues (toujours distingués !) s’interrogent sur les similitudes,
les différences de ces pulsions, s’avisant avec une incroyable lenteur de
jugement qu’elles ne débouchent guère sur de grands changements.
Ce
qu’ils ne voient pas non plus, ou qu’ils ne veulent pas voir, et encore moins avouer,
c’est la réalité des deux grands mouvements affectant la vie du monde. En quoi,
nous, nous sommes peut-être meilleurs qu’eux dans l’analyse, non pas par mérite
personnel, mais par notre constante volonté de ne pas partir des idées, ou pire
encore, des idéologies pour interpréter le monde, de nous attacher d’abord à
considérer autant que nous le pouvons la réalité des choses. Ce qui n’exclut
nullement, ensuite, mais ensuite seulement, de juger à l’aune de la foi et des
valeurs morales auxquelles nous adhérons.
Ma
première considération est que toujours et partout, à différents intervalles,
se produisent de plus ou moins amples mouvements d’expression d’insatisfaction
de fractions des peuples devant des lois révoltantes, des injustices ou les
scléroses des ordres établis.
Il
peut ensuite se faire ou non que ces mouvements soient interprétés, canalisés,
ou détournés par des mouvements idéologiques plus ou moins structurés. C’est,
somme toute, l’histoire des aboutissements des révoltes et de leur transformation
en révolutions.
Aujourd’hui,
les différentes révoltes, bleues, orange ou roses ne semblent déboucher sur
rien. À mon avis, d’abord pour la raison principale et très heureuse qu’elles
ne sont pour le moment ni rouges ni noires. En effet, malgré l’amnésie
médiatique soigneusement entretenue de l’immense abomination communiste, les
peuples en conservent plus ou moins le souvenir et la répulsion.
Les
drapeaux rouges et l’internationale ne font plus mouvoir les masses. Ils ne
sont plus brandis ou hurlés que par les vieux rhinocéros mélenchoniens, les
archaïques apparatchiks syndicalistes ou les jeunes fanatiques nostalgiques
d’un antifascisme d’un autre temps. Ni Marx, ni Lénine, ni Mao, ni Hô ne sont
désormais les mythes des sursauts populaires. On ne les invoque plus, ces
vieilles idoles dégoulinantes de sang, que dans les pays où elles sont les
momies siliconées ou idéologiques d’un totalitarisme qui ne fait tout de même
plus rêver.
Mais,
face à l’échec du mondialisme qui n’est qu’un nouveau désordre mondial, il est
inéluctable que se produisent des révoltes. Alors des masses bougent mais
désorientées, sans références idéologiques ou religieuses claires.
Elles
bougent sans avoir lu le Manifeste du Parti Communiste de Marx, sans brandir le
petit livre rouge de Mao, elles ne brandissent que leurs
« smartphones », Facebook et Twitter, pour des communications à
l’infini mais vides d’idéologie ou, au mieux, bien courtes d’idées.
Pourtant,
je crois, au risque d’une analyse plus poussée, que des forces essentielles à
la fois anciennes et nouvelles pèsent sur la vie du monde actuel et vont le
modeler.
D’une
part, c’est l’avancée globale de l’islam, par-delà sa féroce et bien réelle
déchirure, remontant à Ali le quatrième calife, entre la majorité sunnite et la
minorité chiite.
De
l’autre, et en grande partie face à l’islam mais encore face au mondialisme,
c’est le réveil nationaliste, agissant aussi sous le couvert (ou le couvercle)
du communisme.
Face
à cela, sans être désespéré, car non sans espérance, je ne puis que constater
l’inertie globale, la sclérose, aujourd’hui du moins dans l’ordre politique et
social, (pas dans celui de la charité), du christianisme en général et du
catholicisme en particulier.
Ainsi
est-il, hélas, indéniable que les grands rassemblements de foules contre le
pseudo-mariage pour tous n’ont pas de soubassement directionnel, qu’ils ne
débouchent pas sur la nécessaire volonté politique (je ne dis pas partisane, je
ne dis pas politicienne) de réanimation sociale que devrait impulser
l’insurrection morale.
En
cela, s’arrête la comparaison avec le mouvement de Solidarnosc qui fut de haute
conscience politique. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement ?
Car, à la différence de la Pologne solidariste et de la revendication victorieuse
de ses messes sur les chantiers navals de Gdansk, tout a été fait pour
interdire ne fusse que la moindre expression dans la Manif dite pour Tous de
toute référence chrétienne qui aurait contrevenu à son affirmation de principe
de sa laïcité. D’ailleurs vigoureusement surveillée par un service d’ordre de
bons jeunes gens disciplinés ! Ces derniers feront sans nul doute de bons
fonctionnaires et gendarmes, avec de bonnes œillères puisque capables
d’interdire, un dimanche des Rameaux, d’arborer à la boutonnière la moindre
branche de lauriers mais ne voyant aucun mal au brandissement d’immenses
banderoles d’affirmation musulmane par des barbus islamiques et leurs femmes
voilées.
Pour
l’heure, de la Manif dite pour tous ne procède donc pas quelque modelage ou
phénomène nouveau de la vie politique.
Une
minorité minorissime de catholiques s’accrocheront à l’idée, à l’illusion,
doctrinalement et religieusement très contestable selon nous, plus ou moins théocratique et
cléricale, d’un parti catholique.
La
grande majorité défendra à l'inverse le principe d’une politique de séparation laïciste du
spirituel et du temporel obéissant ainsi à la volonté d’un épiscopat globalement tiède, peu enclin à indisposer les petits césars de l'ordre républicain.
On
est donc hélas bien loin de notre conception du solidarisme chrétien selon laquelle
un mouvement politique doit pouvoir affirmer la nécessité du respect de l’âme
et des valeurs chrétiennes de nos patries et de notre civilisation, dans le
juste respect, mais non dans l’opposition, de ce qui est de César et de ce qui
est de Dieu.
Le
danger est alors que les nationalismes, certainement sans retomber dans de
sinistres déviations révolutionnaires et totalitaires du type de celles du
siècle dernier, se développent sur un mode jacobin, sans référence à la loi
morale naturelle que devraient respecter les États et leurs lois. Pour l’heure
hélas, dans notre pays, la France, s’il y a certes toujours nombre d’hommes de
foi, d’intelligence et de courage, il n’y a ni dans la politique ni dans l’Église une grande voix pour porter
l’espérance d’une France et d’une Europe développant leur modernité dans le
respect de leurs vivifiantes racines chrétiennes.
Ce n'est pas une raison pour désespérer, c'est une raison pour réfléchir et agir.
Ce n'est pas une raison pour désespérer, c'est une raison pour réfléchir et agir.