mardi 8 février 2011

Un désaccord avec Jean Raspail : non ce n’est pas la charité chrétienne qui a commencé à nous perdre, c’est sa dénaturation !

L’admiration que j’ai pour le très grand talent de romancier de Jean Raspail, la joie que j’éprouve à la nouvelle de la réédition du Camp des saints et l’amitié que je lui porte ne m’interdisent pas et même m’incitent à exprimer mon désaccord sur ses propos en réponse à une question posée par Patrice de Méritens dans Le Figaro Magazine du 5 février 2011.

Voici les lignes qui motivent ma réaction :
« Patrice de Méritens : Que répondez-vous au soupçon d’un frénétique égoïsme ?
Jean Raspail : Nous assistons actuellement à une exacerbation laïque émotive de ce qui était autrefois la charité chrétienne, laquelle s’exerçait à l’égard de son prochain, mais pas à la terre entière. Autrefois, chez ma grand-mère, il y avait la place du pauvre, symbolique. Pas celle de millions d’affamés. La charité chrétienne a déjà commencé à nous perdre. Que faire ? Se barder d’égoïsme, voire d’un peu de cruauté. Rocard eut le courage, en son temps, de dire que la France ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde. Message à faire passer à certains évêques. »

Je ne considère certes pas ce propos circonstanciel de Jean Raspail comme l’expression d’une réflexion doctrinale sur la conception chrétienne de la charité. Elle révèle surtout en effet, je crois, une grande déception devant la collaboration de toute une partie de l’Eglise avec le phénomène génocidaire de l’immigration sans limite, avec pour conséquences les drames du déracinement pour certaines populations mais également pour notre peuple le risque de disparition sous une véritable colonisation- islamisation.

La légitime dénonciation d’une véritable inversion de la charité ne doit pas conduire un chrétien à oublier que la terre entière est le champ de la charité chrétienne. Certes mon prochain est bien le plus souvent mon proche, c’est à dire mon voisin, mais il est aussi partout celui qui attend le message d’amour du Christ, celui qui souffre et meurt pour les valeurs de foi, de dignité et de liberté.

Jean Raspail, si au fait de la culture catholique, ne peut pas ne pas comprendre que selon la grande mission que le Christ a confiée à tous ses apôtres et disciples, « Allez et enseignez toutes les Nations », c’est bien vers tous les hommes qu’il a demandé de porter le message et la réalité de son amour.

Pour nous, chrétiens et Français, ce prochain n’aurait-il pas dû être et ne sont-ils pas ces femmes, ces enfants, ces hommes abandonnés aux persécutions, aux exterminations du génocide arménien, des camps de la mort, du goulag, russes, ukrainiens, baltes et polonais, juifs et indochinois, pieds-noirs et Harkis et aujourd’hui chrétiens de la dhimmitude du Maghreb au Pakistan ?

Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde mais nous en détourner serait à la fois une atteinte à la charité et une faute politique suicidaire. Depuis que la France est France et l’Europe européenne, cher Jean Raspail, des missionnaires ne sont-ils pas partis de chez nous vers tous les continents, très souvent martyrisés, pour avoir porté la charité du Christ sous toutes ses formes, jusqu’à Nagasaki ou dans les neiges du Canada ? Et jadis, dans les plus humbles chaumières de l’Alsace au Béarn, il y avait des grands-mères pour prier et donner pour ces missions, et aussi pour accueillir à sa place, pas seulement symbolique, le miséreux de passage. Il y avait aussi, il est vrai, de grands papes et de grands saints et de grands soldats pour accomplir une grande œuvre de charité, celle qui consistait à épargner à nos peuples les immenses tragédies qui se sont abattues sur tant d’autres. Et c’est ainsi que furent gagnées les batailles de Lépante ou de Vienne alors que nos rois, par trop égoïstes, ne se souciaient pas d’endiguer une menace qui aurait pu aussi emporter notre beau royaume.

Certes, la charité ne consiste pas à ouvrir les portes et les bras aux envahisseurs. Non, elle ne consiste pas à rendre, comme le fit le pape Paul VI, les drapeaux de Lépante aux Turcs qui, eux, ignorent toute repentance. Elle ne consiste pas à embrasser le Coran, comme le fit en un geste malheureux le pape Jean-Paul II.
Non elle ne consiste pas, comme l’ont fait des évêques français, à offrir des terres de notre vieux pays chrétien pour y bâtir des mosquées ou pire encore à accepter la transformation d’églises en mosquées. Cela c’est le contraire de la charité, cela en est le détournement, l’inversion, la subversion, la corruption.

La charité c’est d’aider aujourd’hui comme hier la veuve et l’orphelin, l’ami dans la détresse, la jeune femme déboussolée qui ne sait pas si elle doit préserver la vie de son enfant à naître. Mais notre prochain, c’est aussi Asia Bibi, la jeune chrétienne que l’on martyrise au Pakistan pour son amour du Christ. Notre prochain, ce sont tous les lointains que l’on peut essayer de rejoindre par la pensée et la prière faute de pouvoir les serrer dans nos bras.