mardi 2 novembre 2010

« Des Hommes et des Dieux ». Après les propos de Madiran. Triste, voici pourquoi.

De nombreux amis indignés m’ont fait part de leur étonnement devant une si brève réaction après la stupéfiante attaque contre moi, perpétrée « à la une » de Présent du vendredi 29 octobre par Jean Madiran.

Je ne voulais pas réagir à chaud à cette agression, me laissant le temps de l’analyser et d’essayer de la comprendre.

Reprenons-en d’abord ici le titre et l’intégralité des lignes assassines.

« Sur la pointe des pieds »

« Certes, le film nous montre ces héroïques moines de Tibhirine sans cacher leurs imperfections liturgiques et peut-être doctrinales, et avec leur probable sous-estimation de l’islam. Il ne les fait point parler comme un livre de Bernard Antony. C’est en les faisant parler comme un livre de Bernard Antony qu’il y aurait eu tromperie. Ce qu’il y a de sage et de nécessaire dans les doctes précisions de Bernard Antony sur l’islam aurait pu trouver sa place comme une sorte de complément au film et non en réquisitoire contre ceux qui l’ont apprécié. Il s’est ainsi produit, sans avertissement préalable, une soudaine fracture publique entre personnalités que l’on était habitué à voir du même côté, dans des entreprises voisines, voire dans les mêmes. »

Le titre compte : "Sur la pointe des pieds". Sur la pointe des pieds en effet pour se fendre de coups de dagues serpentines contre le docte Antony, coupable d’avoir procédé à un méchant réquisitoire entraînant ainsi une fracture publique !? Mais, tous les maîtres d’armes enseignent qu’il ne faut jamais lancer une attaque sur la pointe des pieds. Le déséquilibre peut en être dangereux. On peut s’empaler sur son propre fer.

Venons-en maintenant aux faits.

- Si on lit sans animosité a priori mon communiqué sur le film, on n’y trouvera strictement aucun réquisitoire contre ceux qui l’ont apprécié. Madiran assène-là une totale contre-vérité. Au mépris notamment de ce que j’ai publié dans Reconquête l’article très favorable au film de ma collaboratrice et amie Anne Cognac. Moi-même, j’ai écrit, mais allez au texte, ce que j’ai trouvé de beau et de positif dans ce film. Et ce film ne trahit pas du tout, en effet, la position du prieur Christian de Chergé, quant à la mission de sa communauté et, c’est sur ce point, que le débat peut s’instituer entre chrétiens.

- Je m’étonne d’autant plus de l’attaque « madirane » que, dans un article plus long, peu avant mon communiqué, Danielle Masson avait développé des positions également mesurées mais critiques aussi, sur ce qui lui paraissait, et moi avec elle, très contestable et même pernicieux dans le message véhiculé sur l’islam par le film. Je n’y ai ajouté somme toute que quelques remarques que je pensais utiles. Danielle et Michel Masson, les trouvant très nécessaires, m’ont fait l’amitié de répercuter largement mon communiqué. Marie-Thérèse Urvoy, la grande islamologue m’en a félicité car il est en effet important pour un bon dialogue inter-religieux de ne pas se satisfaire du verset sur les moines cité par le père Chergé et que continue le verset suivant qui l’abroge, récité en arabe par le chef islamiste. On y vérifie que les bons moines selon le Coran, sont ceux qui se convertissent à l’islam ! Mais sans doute est-ce-là le genre de précisions menant Madiran à évoquer au bout de sa plume cyanurée « mes doctes précisions sur l’islam » ? Il faudrait être bien lourdaud pour ne pas saisir ici l’intentionnalité ironique. Me voici donc désormais rangé au rang d’enseignant de « doctes précisions ». Cela, il est vrai, venant du maître en doctrinalité Madiran, me fait sourire. On a pu, à tort ou à raison, me reprocher beaucoup de choses mais d’être « docte », personne ne m’en avait jamais fait la remarque. On sait bien que je ne suis pas plus « docte » sur l’islam que sur le communisme. J’ai écrit, autant que je le croyais nécessaire, des livres et articles de réplique, d’information, de clarification pour essayer d’équilibrer la pensée et l’action contre le communisme et contre l’islam aujourd’hui, pas seulement sur le terrain des publications ! Cela m’a valu d’affronter quelques dangers, de recevoir quelques coups.

Pour ce qui est de l’islamisme, j’ai eu le privilège de recevoir une condamnation à mort assortie de coraniques supplices et soigneusement calligraphiée de la part du terroriste Fouad Ali Saleh.

Et pour ce qui est du rayon « docte », me voici aujourd’hui en charge de la solidarité à apporter à des réfugiés irakiens, ou encore à cet algérien converti au catholicisme, ayant du fuir son pays, menacé de mort.

Ne sont-ce point là, après tout, de doctes précisions que je me vois contraint d’apporter, pour éclairer ce qui a pu motiver mes réserves sur un film certes primé par notre Education nationale et très massivement, médiatiquement et culturellement louangé. Aurais-je donc, à ce point, choqué Jean Madiran parce que je n’aurais pas joint ma voix à un unanime concert de louanges ? Voilà qui serait inattendu, cocasse, « on vit décidément une époque épatante » !

- Mais, encore une fois, j’attends de lui qu’il fournisse un seul mot, une seule phrase de moi faisant réquisitoire contre ceux qui auraient, différemment de moi, apprécié le film. Mais, n’est-ce pas plutôt l’inverse de ce que Madiran m’accuse, qui se serait produit ? Tout le monde connaît, bien sûr, son grand esprit de tolérance mais cette fois, exceptionnellement, n’enragerait-il pas parce que j’aurais écris des propos qui, pour quelque raison, l’auraient indisposé ? Au point d’altérer son jugement et de m’imputer ce qu’il m’impute dans un parfait déni de la réalité.

Où voit-il diable que, suite à ce « réquisitoire » qu’il m’attribue fantasmagoriquement, se serait produit « sans avertissement préalable, une soudaine fracture publique » ? On lit bien : « une fracture publique » Une nouvelle affaire Dreyfus quoi ! Mais, à vrai dire, de quoi cause-t-il ? On n’y comprend rien. Qui donc n’a pas averti ? De quoi fallait-il avertir ? Qui fallait-il avertir préalablement ? Une haute autorité doctrinale ? Le grand gourou de la commission d’interprétation correcte du Coran ? L’Education nationale ? Une commission de censure de Présent ? On se perd en supputations. Aurait-il fallu que je lui soumette au préalable un texte non en parfaite concordance avec le jugement enthousiaste, mais tout de même pas vérité d’Evangile, de Caroline Parmentier, dont je découvris avec stupéfaction la manière dont elle le traitait ? Aussi, Jeanne Smits, je lui en sais gré, eut à cœur de procéder après cela, sans une once de reproche ou de polémique, à un exposé des différentes et bien légitimes perceptions que l’on pouvait avoir sur le film et sur les questions qu’il pose. Et elle avait eu l’honnêteté de publier mon communiqué dans son intégralité. Fallait-il donc que Madiran revienne sur la question avec la mirobolante assertion que mon texte aurait été gravement source de « fracture publique » ! Mais quelle erreur, quelle hérésie majeure véhiculerait-il donc ? J’attends qu’on me l’explique.

Ou bien, est-ce le fait que je ne pus tout de même faire autrement que d’émettre sur mon blog, après le procédé Parmentier, une protestation légitime et mesurée ?

On sait bien que Madiran n’est ni pointilleux ni susceptible. Mais enfin je lui pose trois questions auxquelles il sera bien contraint de répondre au moins dans le secret de sa conscience.

- Qu’aurait-il dit si un de ses textes avait été présenté, sans consultation préalable, dans Reconquête, le Salon beige, l’Homme nouveau ou La Nef comme un courrier de lecteur ?

- Et si de ce texte avait été retiré l’essentiel de son originalité ?

- Et si on lui avait imputé un évident contresens de jugement ?

Tout cela sans l’élémentaire délicatesse d’un petit coup de fil de précaution entre personnalités du même côté !

Or, sans vouloir le moins du monde l’offenser, je ne puis tout de même, puisque Madiran m’y oblige à nouveau, que regretter que Caroline Parmentier n’ait accordé à mon texte qu’une très superficielle et déformatrice attention. S'il ne lui plaisait pas, ce que je puis comprendre, alors elle pouvait ne pas le publier, ne pas l’instrumentaliser, ne pas le tronquer, ne pas le déformer, ne pas m’imputer un lourd contresens de compréhension du film qui l’enthousiasmait. Ne s’avisa-t-elle pas en effet de rappeler au gros balourd que je suis sans doute, que ce film n’avait pas pour sujet le père de Foucauld. Comme si je ne m’en étais pas aperçu ! Mais était-ce donc une grosse bévue de réflexion que de formuler une allusion à la manifeste différence, sinon divergence de perspective quant à leur mission de religieux en pays musulman, entre le prieur Christian de Chergé et celle du père de Foucauld? Et ce, d’autant plus que les articles n’ont pas manqué dans la grande presse pour les comparer et la plupart du temps les assimiler au mépris de la réalité et de la vérité de la vie et de la mort du père de Foucauld ? Mais serait-ce là une docte et inopportune observation ? Comme si Madiran pouvait ignorer cela. Alors était-il vraiment incongru, inamical, que je puisse simplement réagir au traitement Parmentier, regrettable et sur le fond et dans la forme. Et je dois encore rappeler, puisqu’il le faut bien, le propos « carolinesque » d’allusion à l’assertion qu’elle aurait trouvé dans mon texte, il fallait le faire, sur « les dérives pseudo-conciliaires ». Sujet de débat sans doute intéressant et sur lequel Jean Madiran a fréquemment et excellemment écrit. Mais il se trouve simplement que je n’en ai pas du tout parlé, pas la moindre allusion dans mon communiqué. Car simplement, on ne peut pas tout évoquer à tout propos.

Mais si Madiran et Caroline avec lui, peuvent me trouver cette évocation des « dérives conciliaires » alors ils feront la preuve que je suis en grand danger de perte de conscience de ce que j’écris et pire encore, d’incapacité de relecture. Mais je suis prêt à parier cent tonnes du meilleur caviar iranien hallalement pur qu’ils pourront toujours chercher.

Alors, oui, je suis triste, triste pour Jean Madiran, dont pendant plus de trente ans de compagnonnage ou de voisinage de combat, j’ai finalement toujours réussi à pardonner bien sûr ses piques à mon endroit, préférant ne considérer que son œuvre généralement magnifique d’intelligence française et de foi catholique.

Oh je savais bien que son grand talent de pensée et de plume s’accompagnait d’un récurrent retour à son vieux démon de la polémique, pas toujours nécessaire, souvent acharnée, exagérée, injuste. J’ai pardonné plus d’une fois ses petites égratignures, sachant très bien, nul n’est parfait, la démangeaison qui l’affecte souvent de lancer de petites flèches délicatement cyanurées même à l’égard des plus proches. Mais je savais bien que quoique m’appelant Romain, je n’étais pas l’unique objet de son ressentiment qui peut mystérieusement aller et venir à l’égard des uns et des autres. Je passais donc, considérant aussi l’excuse des travers que nous avons hélas tous.

Le 12 avril 1948, de sa prison, Charles Maurras, qui s’y connaissait, lui adressait une longue lettre de mise en garde contre un mauvais usage de la polémique utilisée « non pas contre l’ennemi »… On y lit : « ne tirez pas de chaque piqure de hasard le motif d’une action en forme à mener contre vos compagnons ». Il l’invitait à combattre « ce démon secret » et l’invitait à méditer un alexandrin de Racine appliqué à Achille dans Iphigénie : « Tournez votre douleur contre nos ennemis ! » Maurras concluait ainsi : « C’est vous qui, en vérité, obligez aux grands mots ». Pour ma part, je me serais bien passé d’être dans la nécessité d’une légitime défense devant de méchantes assertions « à la une » du seul quotidien dont je ne puis me désintéresser et dont je ne crois pas qu’une overdose de polémique plus ou moins nécessaire lui fasse grand bien.

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Bernard Antony