mercredi 29 juillet 2009

Gouvernement ou gouvernance : propos iconoclastes

Je poursuis, sans nullement conclure, les réflexions sur Caritas in veritate. Une chose m’étonne : je lis que la gouvernance souhaitée par Benoît XVI n’a rien à voir avec un gouvernement mondial mais seulement avec le bien commun international. Mais à cette heure, dans ce débat, je n’ai eu à lire (je ne dis pas que cela n’existe pas) aucun article où l’on m’explique ce que serait un gouvernement mondial !
Or comment pouvoir affirmer que quelque chose n’est pas quelque chose sans avoir au préalable défini ce quelque chose ?
Quelle idée se font donc mes amis d’un gouvernement mondial ? C’est d’abord à partir de cela qu’il faudrait débattre ! Et j’ajoute qu’il faudrait examiner - après tout ce n’est pas un tabou - si ce gouvernement mondial serait une nécessité ou non, une bonne chose ou non, l’organe éventuel du bien commun international.
Je ne pense pas - je n’en connais pas - qu’il y ait des mondialistes suffisamment pervers et cyniques pour oser affirmer que ce qu’ils voudraient ce serait bel et bien le gouvernement mondial d’un Big Brother prenant en tous domaines toutes les décisions importantes d’organisation de la vie des hommes et des peuples. Voir les choses ainsi est évidemment caricatural.
Les mondialistes mettent en avant les questions angoissantes de sécurité collective, celles du terrorisme et de la prolifération nucléaire. Et c’est en effet très important, d’importance planétaire et vitale pour la survie de l’humanité. Ils mettent en avant les grands problèmes climatiques, écologiques, démographiques, sanitaires, alimentaires. Qui oserait en nier l’importance ?
Alors, en effet, dans quel cadre et selon quelles formes d’institution, de concertation, de prise de décision, les traiter ?
Il va de soi encore qu’aucun mondialiste partisan d’un gouvernement mondial (éliminons ici les cas d’imbéciles) ne nous le présentera comme une transposition de nos gouvernements avec notre nomenclature de ministères et d’administrations. Bien sûr, il ne nous le décrira que comme une autorité souple (concertative, fédérative) et non, encore une fois, caricaturalement, comme une dictature couronnant une perfection totalitaire.
Un de mes amis m’explique qu’il ne faut pas confondre autorité, gouvernement et pouvoir. Je lui réponds , il y a certes des gouvernements sans autorité et des autorités qui ne sont pas des gouvernements. Il s’agit par exemple d’autorités intellectuelles, scientifiques, artistiques... D’autres sont des délégations de gouvernement. Mais une autorité politique, globale ou partielle, ne peut être qu’un pouvoir de faire ou de faire faire. Autorité et pouvoir sont des concepts étroitement liés. Louis Salleron a livré sur ce point d’admirables études.
Alors le vrai débat est de savoir, au niveau mondial, ce que serait concrètement, institutionnellement, la réalité d’une autorité à l’échelon mondial, et ce que recouvrent les termes selon que l’on parle de gouvernance ou de gouvernement. Dans le cas de gouvernance, quels seraient les domaines et les limites de l’autorité de l’institution qui la concrétiserait ? Car selon Benoît XVI, cette gouvernance ne serait pas purement concertative mais une véritable autorité (certes respectueuse de la subsidiarité) puisque ayant la « faculté de faire respecter ses décisions ». Ce qui n’est pas le cas partout aujourd’hui de l’ONU, du moins en Israël...
Benoît XVI ne dit pas qui seraient les participants et les décisionnaires de cette gouvernance : les 192 chefs d’Etat de toutes les nations ? Ou alors des délégués des grands ensembles ?
On nous a répondu qu’il ne revient pas à l’Eglise de se mêler de la vie des Etats ! Or comme c’est tout de même le pape qui propose le modèle de cette gouvernance que nous considérons et cherchons à comprendre, est-il incongru de poser pour le moins la question de son principe de fonctionnement ?
A moins de s’en tenir à l’observation qu’elle est déjà, en pratique, un club décisionnaire de cinq ou six puissances majeures.
Comme on le voit, la doctrine sociale de l’Eglise, c’est à dire aussi, en clair, sa doctrine de la politique des nations, ne change sans doute pas de soubassement doctrinal mais, pour le moins, d’extension de perspective. Et celle des politiques ne devra-t-elle pas alors consister à éviter que la gouvernance ne devienne gouvernement selon l’instinct boulimique de la plupart des pouvoirs ?
Sauf à mépriser l’expérience, on ne saurait s’épargner de méditer l’exemple de la construction européenne avec sa gouvernance, le Conseil, et l’organe chargé d’en faire respecter les décisions, la Commission. Peut-être verra-t-on ainsi un jour un Barroso planétaire ?
Reste donc à se demander si demain, dans le contexte de fonctionnement idéal de l’autorité mondiale « exercée de manière subsidiaire et polyarchique », l’on n’aura pas à résister à ce super-Barroso ?
Ce qui semble évident, c’est qu’il ne semble désormais pas possible d’échapper à la dimension mondiale de l’action politique, économique et sociale.
Cela, plus que jamais, impliquera le devoir de défense des valeurs, des identités, des libertés de nos patries et des chrétientés. Car qui pourrait sérieusement le nier : la gouvernance mondiale pourrait vite dériver en gouvernement planétaire et ce gouvernement en Léviathan totalitaire. Et là, en effet, sans que nul catholique et même sans que nul mondialiste ne l’ait vraiment voulu, alors Big Brother pourrait bien se faire gros comme un globe terrestre. Et ce ne serait pas le meilleur des mondes.

Bernard Antony