vendredi 22 décembre 2006

REPONSE DU JOUR

Un lecteur me demande ce que j’entends par le « prochain » que, selon le commandement du Décalogue, l’on doit aimer comme soi-même. Bonne et vaste question !
Le prochain pour moi est constitué évidemment d’abord, tout simplement, par ceux que je côtoie dans ma vie quotidienne. Mais parmi eux, il y a ceux qui me sont proches par toutes les fibres de l’âme et du cœur, de l’intelligence, de la sensibilité, de l’humour. Il est facile de les aimer. Il y en a d’autres qui proches par la proximité me sont cependant lointains, avec lesquels il est difficile de communiquer, n’arrivant pas à trouver un point d’accroche, politique ou poétique, humoristique ou même gastronomique. Pourtant il faudrait aimer, je le sais, ce proche-là comme mon prochain. Ce proche-là n’est pas un ami, ni même un ennemi. Là réside sans doute la difficulté de l’aimer. Et pourtant, il le faudrait

Aimer ses ennemis, c’est aussi ce à quoi nous convie notre religion. Théoriquement, abstraitement, cela semble facile. Il faut l’aimer en Dieu, prier pour son amélioration, sa conversion le cas échéant, lui pardonner puisqu’il nous offense. Cela nous parait quelquefois impossible tant l’ennemi est méchant. On l’aime alors, dans une sorte de pulsion d’amour héroïque, du moins le croit-on, mais n’est-ce pas complaisante illusion, sans voir ce qu’il y a peut-être alors d’auto- admiration en nous ? Difficile d’être un saint !

A la réflexion aussi, s’il est quelquefois possible d’aimer ses ennemis dans une volonté ascensionnelle de notre âme, il n’est pas toujours facile d’aimer ses amis ! Dans la vie courante d’ailleurs, ce sont ceux-là qui quelquefois nous embêtent le plus ! « Dieu me préserve de mes amis, mes ennemis, je m’en charge ! ». Est-ce bien du Voltaire ? Je le crois mais j’hésite. Peu importe. Si vous saviez en effet comme mes amis sont embêtants ! Et le pire c’est qu’ils disent très exactement la même chose de moi ! Je ne puis tout de même m’empêcher de penser qu’ils n’ont peut-être pas tort. Raison de plus pour leur en vouloir !

Aimer son ennemi lointain ce n’est donc pas si difficile, mais aimer son ami si prochain, avec toutes ses manies, ce n’est pas toujours aisé ! « L’enfer, c’est les autres ! » La formule du triste Sartre a sa part de vérité ! La vérité c’est que « les autres », même les amis, « c’est pas toujours le paradis ». Mais la vérité c’est que si mon prochain n’est pas toujours comme il le faudrait, mon proche, je pense aussi souvent, très souvent, à ceux que j’ai côtoyés, admirés, aimés, l’espace d’un voyage, d’une rencontre. Je les ai souvent perdus de vue, perdus de voix. Je ne sais plus où ils sont, et même s’ils vivent encore. Mais ils vivent en moi.

Nous n’étions pas de la même race, et quelquefois même, aux frontières du Cambodge, pas de la même religion. Mais ils souffraient et combattaient avec tant de courage pour leur liberté et leur dignité.
Chaque soir de Noël, dans ma prière, je pense donc à mes proches, à mes prochains tout près. Mais sans cesse, c’est ainsi, je m’évade vers vous, frères de combats en humanité et frères en chrétienté, du Nicaragua ou de Lituanie, de Pologne ou du Laos, avec lesquels– n’est ce pas Thibaut ? , n’est ce pas Alain ? - nous avons trinqué avec les pires tord-boyaux à l’amitié qu’au-delà des mots, portent par le regard, les vibrations de l’âme et du cœur.