mercredi 9 juillet 2025

Les libres propos d’Alain Sanders



L’expo événement à la Monnaie de Paris

Catho, royco, flamboyant et provocateur : Georges Mathieu

 

L’événement de cet été, c’est incontestablement la grande – monumentale – rétrospective consacrée à Georges Mathieu (1921-2012), ce monarchiste baroque qui est l’un de nos plus grands peintres.

Père de l’abstraction lyrique, Georges Mathieu, né Georges Victor Mathieu d’Escaudœuvres, fut choisi en 1974 pour créer la pièce de dix francs de la République française. Ce qui ne changea en rien ses profondes convictions royalistes : « La plus grande gloire de Maurras à mes yeux fut d’avoir superbement démontré la crétinerie de la démocratie, annonçant implicitement le totalitarisme et la mondialisation destructrice des nations ».

Après des études de droit, de lettres et de philosophie, Mathieu choisira, à partir de 1942, de se donner aux arts plastiques. En 1946, il participe – et crée déjà l’événement – au Salon des moins de trente ans. Un an plus tard, au Salon des Réalités nouvelles, il présente des toiles à la texture faite de taches directement sorties du tube. Avec ces couleurs écrasées par le doigt de l’artiste, il fut, dès 1944, l’inventeur du dripping (que l’on attribuera à Janet Sobel et à Jackson Pollock qui ne furent en l’occurrence que des suiveurs).

Reconnu et célébré aux Etats-Unis et au Japon dès 1950, il se lance, à, partir de 1954, dans des performances spectaculaires qui consistent à créer – sous les yeux de foules ébahies – une multitude de tableaux. On se souviendra longtemps de ce happening de 1956 au Théâtre Sarah-Bernhardt : l’exécution, devant 2000 personnes, d’un tableau de 4X12 mètres avec l’utilisation de près d’un millier de tubes de peinture. Cette toile, Hommage aux poètes du monde entier, sera malheureusement détruite dans l’incendie de l’atelier de l’artiste en 1968.

Mathieu fut très vite sollicité dans le monde entier. Ses réalisations se multiplient : création de décors dorés pour la Manufacture de Sèvres (1968-1969) ; plan d’une usine (L’Usine Mathieu) à Fontenay-le-Comte ; décors pour Le Château de Barbe-Bleue, l’opéra de Béla Bartók en 1973 ; la pièce de dix francs que nous avons dite (1974) ; création du logo d’Antenne 2 (1973) ; sculpture monumentale pour le complexe sportif de Neuilly-sur-Seine (1980-1982) ; tapisserie des Gobelins (A la France, 1981-1985) ; etc.

Un mot des titres des toiles de Mathieu, titres qui ont longtemps dérouté la critique. Ils se rapportent le plus souvent (à quelques exceptions près, comme le mathématique Théorème d’Alexandrov, par exemple) à la Grande Histoire : La Bataille de Bouvines, Les Capétiens partout, La bataille de Hastings, La délivrance d’Orléans par Jeanne d’arc, L’Election de Charles-Quint, Saint Georges terrassant le Dragon, etc.

Dandy flamboyant, provocateur impénitent, mousquetaire infatigable, porteur de moustaches en crocs emblématiques, il sut aussi se poser pour expliciter sa croisade pour un art libéré de toutes les règles classiques en même temps qu’enraciné dans la tradition. Il se veut être un artiste-artisan, à la frontière entre les beaux-arts et les arts décoratifs : « La plus haute liberté dans l’invention des formes, comme dans le sentiment intérieur, ne s’est découverte que lorsque l’artiste a cessé de concevoir l’Art comme un mimétisme, ne se posant plus en face de la Nature, mais pour la première fois en face de Dieu, vivant un vertige incommensurable devant le vide, mais vivant aussi l’ultime victoire sur sa servitude ».

Jean Cocteau dira de lui : « C’est un grand seigneur : tout ce qu’il touche devient féodal et noble ». Dès 1950, Malraux le décrivit comme « le plus grand calligraphe occidental ». Pierre Boutang (Mathieu réalisa pour lui la maquette de son hebdo, La Nation française en 1955) le tenait pour « le peintre essentiel ».

Il fut incontestablement le peintre du Grand Siècle en même temps que le chantre de la modernité. Indéchiffrable, énigmatique, fulgurant, sensuel, Mathieu transcende jusqu’au génie une tonitruante intériorité muette. Furieusement anticartésien, ennemi de la société bourgeoise, contempteur de la médiocrité de notre monde et de l’avilissement des esprits, il chouanna jusqu’à son dernier souffle. Ses œuvres peintes sont des cris de douleur, des cris de couleurs, mais aussi de formidables leçons de France, d’amour de la France.

Les toiles de Mathieu sont présentes dans les plus grands musées du monde et, en ce moment donc, à la Monnaie de Paris. Peintre, graphiste, sculpteur, architecte, designer, il professait que « seule la beauté sauvera le monde ». Il y a encore du chemin à faire…

Alain Sanders

Lecture recommandée, son ouvrage de 1973, De la révolte à la renaissance (Gallimard)

Monnaie de Paris, 11, quai de Conti, Paris 6e. Jusqu’au 7 septembre