Notre mémoire : 30 avril 1975, Saïgon la belle rebelle tombait aux mains des Viets
Danang dont j’aurai du mal à m’exfiltrer. Et les évacuations de Nha-Trang. Et de Qui-Nhon. Et deDalat. Les blindés nord-vietnamiens fonçaient sur Saïgon.
À Saïgon, désormais vide d’Américains, quelques reporters traînaient sur la terrasse du Continental, rue Thu-Do (ex-Catinat). Tout se défaisait. Et sur la terrasse de cet hôtel mythique, ils regardaient mourir un monde. Et mourir Saïgon. La belle rebelle. Ils étaient quelques-uns qui, des années durant, avaient craché sur l’armée vietnamienne. Depuis Saïgon. À Hanoï, la capitale du Tonkin communiste, il n’y avait eu, tout au long du conflit, que deux « journalistes » : le correspondant d’Avanti (PC italien) et celui de L’Humanité (PC français). J’en ai insulté deux, trois. Ils m’ont regardé comme un extra-terrestre.
Tout se défaisait. Et la Ba-muy-Ba, la 33-export des Brasseries et Glacières d’Indochine, avait un goût de fiel. Certains journalistes somnolaient. D’autres attendaient que l’orage crève. En montant vers Bien-Hoa et Xuan-Loc comme nous le fîmes, ils auraient pu voir comment mourraient, pour leur patrie, les paras sud-vietnamiens.
Tout se défaisait. L’ambassade de France et l’ambassadeur Mérillon étaient claquemurés. Dès les premières alertes, des ouvriers avaient surélevé les murs d’enceinte. Au cas où des malheureux, pris dans la nasse communiste, auraient eu l’idée de venir troubler le diplomate français qui magouillait déjà avec l’envahisseur.
Tragique mois d’avril. Tout se défaisait. Au Laos nous perdions Vientiane. Au Cambodge, nous perdions Phnom Penh. Nous attendions de perdre Saïgon. À Paris, le bébé de Sheila faisait la « une » de Match. La France versait des larmes de sang sur le sort d’un cheval blessé en course.
Tout se défaisait. Remontant l’ex-rue Catinat, une poignée de jeunes paras, armés de roquettes anti-char, avançaient d’un bon pas. Vers quel destin ? « Où allez-vous, les gars ? », leur demanda un journaliste goguenard. « À Tan-Son-Nut, les chars communistes sont tout près. »
Tan-Son-Nut, c’était l’aéroport de Saïgon avant que la belle rebelle ne soit rebaptisée d’un nom qui sonne comme une insulte : Ho Chi Minh Ville. Là-bas, effectivement, à quelques kilomètres du centre-ville, quelques paras têtus essayaient, avec des moyens dérisoires, d’arrêter le rouleau compresseur…
Le journaliste insistait : « Mais c’est foutu les gars ! Y’a plus rien. Plus de chefs. Plus d’armée. Plus rien ! Qu’est-c’que vous allez foutre à Tan-Son-Nut ? »
Un petit sous-lieutenant, sans s’arrêter, tourna son visage – un visage étonnamment serein – vers le journaliste : « Ce que nous allons faire, Monsieur ? Nous allons faire Camerone. »
C’était un 30 avril effectivement. En 1975. À Saïgon. Et tout se défaisait.
Alain Sanders
Pour aller plus loin : Si je t’oublie jamais, Saïgon…(Francephi, BP 20045 Gorron).