Bruits
de bottes : l’Afrique de l’Ouest à la va comme j’te putsch…
Je ne sais pas si l’expression
« bruits de bottes » a encore du sens aujourd’hui. Rappelons qu’elle
évoque les militaires — leurs armes,
leurs casernes, des perspectives de putsch, de soulèvements musclés ou
d’interventions armées. Dans le contexte africain, elle renvoie souvent (et
depuis des lustres avec, jadis, des « parrains » occidentaux, ce qui
n’est plus vraiment le cas) à l’enchaînement de coups d’État, de mutineries, de
transitions instables, de tentatives de prise de pouvoir par la force, et de
militarisation de la vie politique.
Depuis 2020, de nombreux pays d’Afrique
de l’Ouest, qui ont proclamé leur détestation de l’Occident en général et de la
France en particulier, ont été touchés par cette « dynamique » qui
est signe d’une crise profonde de gouvernance, de sécurité, et de légitimité
politique.
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger
font partie des États les plus dramatiquement concernés depuis 2020. En 2023,
le Niger a vu son président élu renversé par la garde présidentielle, avec
l’arrivée au pouvoir d’une junte menée par Abdourahamane Tiani. Le Burkina Faso
a connu deux coups d’État en moins d’un an (2022), le second installant Ibrahim
Traoré comme chef de la transition.
Depuis ces putschs, un bloc de pays
dirigés par des militaires s’est formé. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger
ont créé l’Alliance des États du Sahel (AES), qu’ils ont configurée comme une
« confédération » de défense mutuelle.
Cette séquence de bouleversements a
profondément modifié le paysage politique ouest-africain en quelques années.
Plusieurs facteurs expliquent ces retours du « soldat au pouvoir » :
l’impuissance des régimes civils à garantir la sécurité face à l’explosion de
la violence djihadiste (insécurité, attentats, instabilité) ; la montée
d’un sentiment de désillusion envers la démocratie formelle, jugée inefficace,
corrompue, incapable d’apporter des services de base ce qui ipso facto, rend les promesses de
stabilité portées par les militaires séduisantes ; les fractures
institutionnelles (concentration du pouvoir, fragilité des contre-pouvoirs,
dépendances externes), qui rendent plus facile l’intervention des forces armées
dans le jeu politique.
Quand les militaires prennent le
pouvoir, c’est avec la promesse de « restaurer l’ordre », de « sécuriser le pays », de « débarrasser
le pays des terroristes ». Sans résultats et bien au contraire. Une analyse récente
montre que les juntes militaires au Sahel — malgré leur pouvoir — échouent à
contrôler durablement l’insécurité. Les attaques massives du terrorisme
djihadiste continuent d’endeuiller la région, certains jours avec des dizaines
de morts parmi civils et soldats.
Au Niger, après le coup d’État de 2023,
les groupes comme le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) ou
l’Organisation de l'État islamique au Sahel (OEI-Sahel) n’ont cessé de
progresser.
Sur le plan politique, la fin de la
transition vers un pouvoir civil se fait attendre : des échéances promises sont
repoussées, des institutions sont modifiées, des partis politiques sont
interdits.
Le phénomène putschiste n’affecte pas
un seul pays isolément. L’émergence de l’AES illustre une reconfiguration
géopolitique : ces États se sont retirés de Communauté économique des États de
l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), marquant un recul de l’influence de
l’organisation commune, et un isolement relatif de certains pays autrefois
membres.
Sur le plan sécuritaire, l’absence d’un
front commun fort avec les anciennes puissances — et les incertitudes liées à
la coopération internationale — rendent la lutte contre le terrorisme plus
difficile, incertaine, et souvent inefficace. Enfin, la nature même des régimes
installés — militaires, souvent avec un pouvoir concentré — pose, selon des
critères occidentaux, la question des libertés, des droits humains, et de la
gouvernance à long terme dans la région.
L’Afrique de l’Ouest est donc
aujourd’hui à la croisée des chemins. Plusieurs scénarios sont envisageables.
Si les juntes réussissent — d’une part à offrir une sécurité minimale, d’autre
part à instaurer des institutions stables —, certaines populations pourraient
accepter un régime autoritaire « protecteur », remettant en cause l’idée de
démocratie libérale, vieille tarte à la crème cuisinée en Europe. En revanche,
l’échec de la sécurité ou la répression politique pourraient exacerber les
tensions : fuite des populations, radicalisation islamiste, exode, instabilité
prolongée.
Voici une chronologie (2020-2025) des
principaux coups d’État (et tentatives) en Afrique de l’Ouest (et pays voisins
concernés) : 18 août 2020 au Mali, renversement du président civil Assimi
Goïta, instauration d’un gouvernement de transition ; 24-25 mai 2021au Mali, deuxième coup d’État (au sein de
la transition), destitution du président de transition, report des
élections ; 5 septembre 2021 en Guinée,
renversement du président élu Mamadi Doumbouya, instauration d’un régime
militaire ; 24 janvier 2022 au Burkina
Faso, renversement du président en place Paul-Henri Sandaogo Damiba, début
d’une transition militaire ; 30 septembre 2022 au Burkina Faso, deuxième coup d’État en 8 mois, renversement de la
junte précédente, suspension de la Constitution, dissolution du gouvernement,
nouvelle junte, promesse de transition ; 26 juillet 2023 au Niger, renversement du président élu
Abdourahamane Tchiani, chute du régime civil, la junte prend le pouvoir ;
7–8 décembre 2025 au Bénin,
tentative de coup d’État, mutinerie, putsch avorté : le gouvernement et
l’armée loyaliste reprennent le contrôle, appuyés par l’aviation nigériane,
l’ordre constitutionnel est rétabli. A suivre…
Alain Sanders