C’est
désormais acquis : des troupes nord-coréennes ont bel et bien rejoint
les forces russes sur le front ukrainien où le soutien sans faille de
Kim Jong-un à Vladimir Poutine s’est ainsi traduit en chair et en os –
et en sanglante réalité. Tant Moscou que Pyongyang ont confirmé la
semaine dernière cette mobilisation au moment d’affirmer que
l’engagement de soldats venus de Corée du Nord avait contribué de
manière cruciale à la reprise de la région de Koursk que l’Ukraine avait
pour partie réussi à reprendre à l’occupant. Les leçons de cette aide
alliée désormais revendiquée sont multiples, mais la première est celle
d’une continuité de la méthode entre l’URSS et la Russie, celle du
mensonge.
Alors que le quotidien britannique The Guardian,
citant les services de renseignement d’Ukraine et de la Corée du Sud,
annonçait le 10 avril que des ingénieurs et des troupes militaires
nord-coréens avaient été envoyés en Ukraine en renfort de l’armée russe,
le Kremlin avait aussitôt démenti. « On dirait encore une fake news », affirmait le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, à des journalistes.
En mars, on parlait déjà
de la présence de quelque 11.000 troupes nord-coréeennes – des hommes
jeunes d’un peu plus de vingt ans, selon les affirmations du
renseignement ukrainien – dont plus de 4.000 déjà tués ou blessés sur le
front. Outre l’annonce connexe selon laquelle la Russie avait aussi
obtenu de l’armement, et notamment des missiles de son allié communiste,
les commentateurs assuraient que les Nord-Coréens étaient « employés » à
tester des armes ou à jouer un rôle de bouclier pour leurs homologues
russes.
La Corée du Nord a bien envoyé ses hommes en Russie
La
rumeur avait commencé à circuler plus tôt, au mois d’octobre 2024 : on
évoquait alors l’arrivée de soldats nord-coréens sur le territoire russe
en vue d’entraînements, information balayée aussi bien par la Russie que par la Corée du Nord,
même si elle n’avait pas été officiellement démentie par Poutine lors
de son intervention concomitante au sommet des BRICS. Dans le même
temps, le renseignement ukrainien assurait que des troupes
nord-coréennes avaient été identifiées dans la région de Koursk, et
qu’il avait intercepté des communications laissant entendre des soldats
russes qui se disaient inquiets sur les dispositions prises pour le
commandement des Nord-Coréens et leur fourniture en armes et munitions.
A
l’époque, Peskov s’était contenté de dire que la « Corée du Nord » est
une proche voisine de la Russie et que les deux Etats « développent des
relations sur tous les plans » : « Cette coopération n’est pas dirigée
contre des pays tiers », a-t-il cependant ajouté. Pendant ce temps, la
Corée du Nord jurait ses grands dieux à l’ONU que ces informations
émanant des Etats-Unis, de l’Ukraine et de la Corée du Sud étaient des
« rumeurs stéréotypées et sans fondement ».
Le temps a passé, le
mensonge a fait son œuvre comme à la grande époque soviétique où il
était érigé en système, et aujourd’hui la Russie estime pouvoir tirer
profit de prises de position inverses. Ce qu’elle fait sans avoir ses
contradictions dénoncées outre mesure : la vérité est un actif fortement
dévalué par les temps qui courent. Il n’empêche. On se croirait aux
grandes heures de l’Union soviétique et des proclamations mensongères de
ses responsables. En communisme, il n’y a d’ailleurs ni vérité ni
mensonge, mais seulement ce qui sert à l’avancement de la Révolution !
Le mensonge façon URSS a la vie dure
Aujourd’hui,
donc, nous avons donc droit au scénario inverse, avec la reconnaissance
officielle d’une réalité qui était en fait connue – mais disputée par
les inconditionnels de Poutine…
Le Monde y voit un « aveu
calculé », obéissant à des considérations « stratégiques » autour de la
coopération militaire avec la Corée de Kim Jong-un à la suite de la
signature d’un partenariat stratégique en juin 2024,
incluant l’engagement à « l’assistance mutuelle en cas d’agression
contre une partie ». Partenariat dont se réclame Kim pour déclarer
l’envoi de troupes conforme à la Charte des Nations unies, tout en la
qualifiant de « mission sacrée visant à renforcer l’amitié et la
solidarité » entre son pays et la Russie.
Ici on joue sur les
mots. On a vu fleurir des déclarations selon lesquelles il n’y a pas eu
de troupes nord-coréennes en Ukraine… puisqu’elles sont dans une zone
russe, reconquise sur l’ennemi occupant. Par le même discours, on
justifie l’engagement par l’« agression » ukrainienne.
Mais l’aveu
alors que des pourparlers de paix sont désormais engagés – tant bien
que mal – serait aussi un moyen de souligner l’importance de l’alliance
militaire entre la Russie et la Corée du Nord, qui aurait de ce fait les
coudées franches pour s’élargir à d’autres, ainsi qu’une manière de
garantir que les éventuels prisonniers de guerre nord-coréens pris par
l’Ukraine bénéficient de la protection de la convention de Genève.
Corée du Nord, URSS, Russie de Poutine : l’alliance historique
En Russie comme en Corée du Nord, c’est maintenant l’heure aux discours patriotiques.
Rt.com a publié un article d’hommage
sur le thème des « frères d’armes », soulignant que Pyongyang et Moscou
ne font que « raviver un partenariat militaire » qui date de la Guerre
froide. Poutine lui-même a déclaré que « le peuple russe n’oubliera
jamais le sacrifice des forces spéciales coréennes ». « Nous honorerons à
jamais ces héros qui ont donné leur vie pour la Russie, pour notre
liberté partagée »… Sic. La « liberté » à la mode nord-coréenne ?
L’article de Russia Today
évoque l’histoire de cette coopération militaire qui « remonte à la
guerre de Corée » au début des années 1950, où les Etats-Unis
combattaient aux côtés de la Corée du Sud tandis que la Chine soutenait
la Corée du Nord communiste, alors que l’Union soviétique,
« officiellement neutre, menait sa propre guerre de l’ombre, moins en
paroles qu’au moyen de chasseurs et d’acier ». La « neutralité »,
c’était le mensonge communiste du jour ; sur le terrain, les « chars
soviétiques, les lance-roquettes Katioucha, les petites armes » envoyées
par la Russie dont les « volontaires », pilotes d’élite, ont changé la
donne dans les airs.
Voilà ce qui explique selon rt.com
l’engagement actuel de la Corée du Nord : un renvoi d’ascenseur, en
quelque sorte, alors même que celle-ci est restée visiblement ancrée
dans le communisme et que la Russie est supposée en être sortie. Cela
devrait faire réfléchir.
On apprend en particulier par la voix de
cet article : « Alors que le conflit militaire entre la Russie et
l’Ukraine s’éternisait, la Russie a commencé à utiliser des munitions
fabriquées en Corée du Nord. Isolée de l’Occident, Moscou a renforcé ses
liens avec des partenaires non occidentaux, et Pyongyang est devenu
l’un de ses fournisseurs d’équipements militaires les plus fiables. »
Face à l’Ukraine, des armes, des munitions, des hommes
Traduisez :
la Russie avoue, ou veut faire croire, qu’elle n’a pas eu les moyens de
mener à bien son initiative belliqueuse qui a commencé avec l’invasion
de l’Ukraine, et elle a dû compter sur l’équipement, et aujourd’hui
aussi sur les hommes recrutés chez le tyran nord-coréen.
Ces
soldats sont maintenant salués par les officiers russes pour leur
« discipline, leur coordination et leur ténacité ; ils ont un ordre
permanent : ne jamais se faire prendre vivants ». Un soldat russe cité
par le média sous contrôle du Kremlin précise que l’« éthos » de ces
combattants lui rappelle les hommes du groupe Wagner, dont on savait
qu’ils avaient toujours sur eux des grenades… « au cas où ». « Ils ont
été tout de suite acceptés par les anciens de Wagner qui sont chez
nous », affirme le même homme.
L’article s’appesantit ensuite sur
le courage, les pertes au combat, les faits d’armes de ces hommes qui se
relèvent quand ils peuvent et continuent d’avancer malgré les vagues de
tirs ennemis, « au même rythme implacable et avec le même fatalisme ».
« Qu’est-ce qui pousse les hommes à se battre comme ça ? Ce doit être
quelque chose de plus fort que la peur de la mort », a-t-il déclaré
selon rt.com.
C’est le romantisme de la guerre… et l’occultation
de la réalité des régimes communistes qui n’ont aucun état d’âme quand
il s’agit d’envoyer des hommes à la mort.
Pour la Corée du Nord, ce sont en tout cas des exercices de guerre in vivo, avec du matériel dernier cri, et une manière d’aguerrir des troupes qui n’ont pas combattu depuis le milieu du XXe siècle. Russia Today
cite à ce propos un analyste qui verrait bien la Corée du Nord faire
tourner ses unités sur le front ukrainien pour « durcir » ses forces
armées.
Pour faire quoi ? L’invraisemblable guerre d’Ukraine, qui
s’éternise, pourrait-elle donc faciliter d’autres ambitions ? Avec
Moscou, Pyongyang et d’autres « amis » du temps soviétique se tenant
fidèlement la main.
Jeanne Smits