samedi 28 décembre 2024

Les libres propos d’Alain Sanders : 1645 : un jour de l’an à Québec

Nous sommes à Québec. C’est chez Jacques Huault de Montmagny, gouverneur de la Nouvelle France, que commencent les salutations officielles. La garnison est venu le saluer par des décharges d’arquebuses sous ses fenêtres. Puis sont arrivés les habitants pour offrir leurs vœux au représentant du roi Louis XIV.

Le gouverneur, lui, a commencé ses visites officielles à 7 heures du matin. En commençant par le collège des jésuites où on lui a offert du pain béni. Avec lui, il y a le docteur Giffard, arrivé dans la colonie en 1627 et qui s’est installé sur la seigneurie de Beauport, près de Québec, en 1634. Les Pères lui ont remis un beau livre : La Vie de Notre Seigneur. Noël Juchereau, sieur des Chastelets, marguillier, commis général de la compagnie des Habitants a reçu, lui, un tome des lectures spirituelles de Drexellius, De Arternitate.

C’est maintenant Jean Bourdon, ingénieur en chef de la Nouvelle France (il deviendra, en 1663, procureur général du Roy), qui s’avance :

— Bonne et heureuse, mon Père !

— Bonne et heureuse année, monsieur Bourdon et le paradis à la fin de vos jours ! lui répond le Père Jérôme Lalemant, supérieur des jésuites, qui lui fait cadeau d’un petit télescope.

Le même Père Lalemant n’a pas oublié les étrennes des Ursulines : une image de saint François-Xavier et une autre d’Ignace de Loyola. Et un crucifix à la religieuse qui blanchit le linge de l’église.

Mais le père Lalemant ne fait pas que donner des étrennes, il en reçoit aussi : du gouverneur, six pigeons et trois chapons ; du docteur Giffart, une bouteille d’hypocras ; des Mères hospitalières, un gâteau et six chandelles de cire ; des Ursulines, des bougies, des chapelets et deux belles pièces de tourtière. A la tombée du jour, il se rend chez Guillaume Couillard. Arrivé à Québec en 1613 comme charpentier, il a épousé en 1621 Marie Guillemette, fille du sieur Louis Hébert.

On se souhaite la bonne année et le Père Lalemant arrive chez Pierre le Gardeur de Repentigny, lieutenant du gouverneur. C’est mademoiselle de Repentigny qui le reçoit car son père est en France. Il va ensuite frapper au monastère des Ursulines où l’attend la Mère Marie de l’Incarnation et madame de La Peltrie.

Dans la Nouvelle France la fête du jour de l’an est d’abord une fête religieuse. Aux Trois-Rivières, Ville-Marie, au fort Richelieu, on marque dignement ce grand jour. Concernant Ville-Marie, on lit dans les Relations des Jésuites de l’année 1645 : « Le premier jour de l’an, on tira quelques pièces de canon dès le point du jour pour honorer la fête : les sauvages, alarmés, accourent, demandent ce que c’est. On leur dit qu’à même jour le Fils de Dieu avait été nommé Jésus, c’est-à-dire “Sauveur”, et que le bruit des canons donnait à entendre qu’il Le fallait honorer. “Allons, se dirent-ils les uns aux autres, et rendons Lui ce même honneur.” Ils chargent leurs arquebuses et font une salve fort gentille. »

S’il n’y a pas partout, comme sur la table du gouverneur, du vin d’Espagne, des pigeonneaux, des chapons, on ne manque pas de gibier sauvage : des oies, des outardes, des canards, des sarcelles, des élans, des porcs épics, des cerfs, des lièvres, du poisson. Pour arroser le dîner, du cidre et de la bière (on en brasse aux Trois-Rivières dès 1635 et une brasserie a été construite en 1646 à Sillery près de Québec). Du vin ? Oui. De France sans doute. Mais de Nouvelle France aussi. Dès 1636, on en a obtenu du très bon à partir des raisins des vignes sauvages. Des petits raisins bleus. On en extrait le jus à la main, dans un linge blanc que l’on presse et que l’on tord.

Toute la journée, au château Saint-Louis, dans les communautés des religieux, les casernes des soldats, les maisons des colons, l’heure est à la fête. Le soir, les fenêtres blanches de givre sont illuminées. Et les familles se retrouvent, se réchauffent, se rappellent le temps envolé.

Au dehors, d’heure en heure, dans la nuit glaciale, on entend la voix du veilleur :

— Le temps est froid ! Il est huit heures ! Il neige ! Il est neuf heures ! Il est dix heures ! Couvrez les feux ! Il est onze heures, couvrez les feux ! Le temps est beau ! Habitants du Québec, dormez, dormez !

Alain Sanders