mardi 2 juin 2020

Marine Le Pen et le politologue


Je lis ce matin dans Le Figaro que Marine Le Pen a donné pour paraître ce jeudi une « tribune fleuve » de neuf pages dans la « Revue politique et parlementaire » : un panégyrique à la gloire du général de Gaulle. Je lirai ce texte avec attention et le commenterai probablement pour la revue « Reconquête ».

Mais, dès aujourd’hui, Le Figaro publie ces lignes : « Les remous qui sont le propre des temps tourmentés et des impératifs de la raison d’État n’ont contrarié ni la direction, ni la puissance du fleuve. L’Histoire a tranché ». On y rapporte aussi le commentaire du politologue Jean-Yves Camus : « Se situer par rapport au gaullisme, c’est se situer par rapport à la guerre d’Algérie et à la seconde guerre mondiale ».

Sur les lignes de Marine, je ne sais pas ce qu’elle entend par « l’Histoire a tranché ». Au commentaire que j’ai écrit sur le Hirak en Algérie, je ne puis ajouter ce jour que ce qui se passe en Algérie ne prouve justement pas que l’Histoire, sur ce chapitre, a vraiment « tranché » définitivement.

Elle a, en revanche, d’ores-et-déjà « tranché » sur le fait que l’ordre donné par le général de Gaulle, de non-assistance aux populations d’Algérie, chrétiennes, juives ou musulmanes se soldant par des dizaines de milliers de victimes, près de deux cent mille probablement, a constitué  une gigantesque ignominie, une impardonnable complicité d’un immense crime contre l’humanité. Tout livre d’histoire qui occulte ou nie cela participe de la désinformation historique !

J’en viens enfin aux propos de Jean-Yves Camus. Certes, ce dernier, qui est un honnête commentateur, ne confond pas la résistance de l’Algérie française et la collaboration des années quarante. Mais d’autres en font sans cesse un amalgame malhonnête parce que piétinant la vérité. Comme si beaucoup des plus éminents résistants, ayant même risqué bien plus le pire que le général de Gaulle à Londres, n’avaient pas été aussi parmi les défenseurs de l’Algérie française. Contentons-nous de citer ici quelques personnages suivants, parmi des centaines d’autres :
- Georges Bidault, le président du Conseil National de la Résistance, le successeur de Jean Moulin qui recrée en 1960 un nouveau CNR pour une autre résistance, celle de l’O.A.S.
- Jacques Soustelle, chef du BCRA à Londres, ministre de de Gaulle en 1958 puis rejoignant lui aussi l’O.A.S.
- Le commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, résistant-déporté à Buchenwald, participant au putsch d’Alger en 1961 ce qui lui vaudra plusieurs années de détention
- Le capitaine Pierre Sergent, futur chef de l’O.A.S. qui anime en 1942 la manifestation à l’Arc de Triomphe de lycéens arborant l’étoile jaune par solidarité avec leurs condisciples juifs.
- Le colonel Remy, grand résistant, compagnon de la Libération, défenseur de l’Algérie française.

Et je pourrais noircir bien des feuilles en continuant la liste de tant de grands résistants qui, comme le compagnon de la Libération, Michel de Camaret, l’avocat héros de la guerre et de la résistance, Jean-Baptiste Biaggi, le docteur Jean-Jacques Plat, héros des SAS, ont rejoint le Front National de Jean-Marie Le Pen où, certes, pouvaient se retrouver des adversaires de la veille, unis pourtant par un même patriotisme.

À vrai dire, je me méfie de l’expression « l’Histoire a tranché ». Trop souvent, ce qu’elle a un jour tranché, elle l’a retranché ultérieurement. Mais, pour ce qui est de de Gaulle, elle a tranché, définitivement : son prestige est entaché d’une immense flétrissure indélébile. Celle d’avoir interdit en toute connaissance de cause, en totale responsabilité personnelle, à un général Katz de faire intervenir ses troupes françaises, puissantes, bien armées, consignées dans leurs casernes alors que partout à Oran, de l’autre côté de leurs murs, montaient les cris de milliers de nos compatriotes que l’on allait torturer, des femmes que l’on déportait vers les plus atroces destinées. Et, il n’y avait pas qu’à Oran qu’étaient perpétrées les plus terribles mises à mort dont la sauvagerie humaine est capable.

Pour ce qui est du reste ou plutôt de l’après, par rapport à de Gaulle, je ne suis pas non plus du tout sûr que l’histoire ait définitivement tranché en sa faveur. Car, la fin de son règne, ce fut « Mai 68 », funeste révolution dont son gouvernement fut entièrement responsable.

Aussi, Marine Le Pen peut-elle bien, sans restriction majeure, louanger dithyrambiquement l’œuvre du général de Gaulle et le prendre pour modèle. Cela n’augure pas bien de ce qu’elle ferait si elle était un jour en charge de la République française.