jeudi 16 avril 2020

Courroux de Dieu ou action du Diable ?


J’ai quelquefois l’impression que pour certains croyants, clercs ou laïques, tous les malheurs frappant collectivement des peuples ou l’humanité sont motivés par le courroux de Dieu. Étrangement, on ne trouve que très rarement dans leurs propos la mention du Diable…

J’éprouve une certaine incompréhension devant cela. Et d’autant plus que parmi les peuples les plus atrocement frappés, les peuples chrétiens ne sont pas les derniers.

Que l’on songe aux grandes exterminations dans le monde depuis la Révolution française. En premier, d’ailleurs, celles perpétrées dans cette période de notre histoire : génocide vendéen, colonnes infernales et pontons, massacres de Lyon, du Vaucluse et déportation au pays basque, massacre des Carmes et guillotine pour les hébergeurs de prêtres. Châtiment de Dieu ?

- Au milieu du XIVe siècle : la grande famine irlandaise, châtiment de Dieu ?
- 1915 : génocide des Arméniens et autres chrétiens, châtiment de Dieu ?
- 1914-1918 : la gigantesque boucherie de la guerre et après cela, la grippe espagnole (vingt millions de morts), châtiments de Dieu ?
- 1932-1933 : Holodomor, le génocide ukrainien des paysans et des fidèles catholiques ; et de 1917 à 1940 : extermination à l’infini des fidèles et du clergé de l’Église orthodoxe. Châtiments de Dieu ?
- 1940-1945 : massacre des Polonais, Katyn et autres abominations ; génocide des juifs. Châtiments de Dieu ?
- 1945 : bombe atomique sur Hiroshima et sur Nagasaki, la ville catholique du Japon. Châtiment de Dieu ?
Et depuis, les enfers des goulags et du laogaï, le génocide cambodgien, la persécutions des chrétiens en pays d’islam, les massacres islamistes. Châtiments de Dieu ?

Que de peuples chrétiens persécutés, massacrés, exterminés ! Et aussi tant d’hommes de bonne volonté.

Un Dieu courroucé qui enverrait ses anges propager des virus diaboliques, vraiment, cela me laisse songeur.

Et voici encore que, pour certains, l’incendie de Notre-Dame serait un châtiment de Dieu ! Pour permettre à Macron de se glorifier de la « rebâtir » en cinq ans ? Un Dieu donc, destructeur du joyau de la civilisation médiévale mais pas des  hauts lieux des abjections de la révolution sociétale et de l’art dit contemporain ?

Aussi avons-nous lu avec un vif intérêt sur « orthodoxie.com » les réflexions sur la nature et le sens de la pandémie actuelle du philosophe et théologien orthodoxe Jean-Claude Larcher. Certaines relèvent des positions propres à l’Église orthodoxe, notamment pour ce qui est de la communion sous les deux espèces. Mais, sur l’essentiel, il s’agit d’une belle réflexion chrétienne sur le mystère du mal.

Extraits :
« Je pense que dans cette épidémie et dans ses conséquences, le diable est à l’œuvre. »

« Une épidémie est une maladie contagieuse qui se répand. On peut en dire tout ce que l’on dit de la maladie, sauf que le caractère massif qui s’impose à une région, à un pays, ou au monde entier, comme c’est le cas actuellement, suscite des questions supplémentaires. Il n’est pas étonnant, dans le discours religieux, de voir ressurgir le thème de l’Apocalypse, de la fin du monde, ou l’idée d’un châtiment divin pour les péchés des hommes, avec des allusions au déluge (Gn 6-7), au sort de Sodome et de Gomorrhe (Gn 19), à la peste qui décima le camp de David après le recensement (2 Sm 24, 15-15) ou aux sept plaies d’Égypte (Ex 7-11). Des mises au point s’imposent donc. »

« Selon la conception orthodoxe développée par les Pères à partir de la Bible, le péché ancestral (que l’on appelle dans la tradition occidentale le péché originel) a eu, sur le plan physique, trois effets : la passibilité (dont la souffrance est une forme majeure), la corruption (dont la maladie est la forme principale) et la mort, qui résulte de cette dernière. Le péché d’Adam et Ève a consisté à se séparer de Dieu, ce qui a eu pour conséquence la perte de la grâce qui leur assurait l’impassibilité, l’incorruptibilité et l’immortalité. Adam et Ève étant les prototypes de l’humanité, ils ont en conséquence transmis à leurs descendants leur nature humaine altérée par les effets délétères de leur péché ; le désordre qui a affecté la nature humaine, a affecté également la nature toute entière, car l’homme, séparé de Dieu, a perdu son statut de roi de la création et a privé les créatures de la grâce qu’il leur transmettait en tant que médiateur. Alors qu’à l’origine la création était entièrement bonne, telle que Dieu l’avait créée (selon ce que nous dit le chapitre 1 de la Genèse), le mal s’est introduit en elle comme en l’homme, un mal qui n’est pas seulement moral, mais physique, et se traduit par du désordre qui affecte l’ordre initial de la création, et des processus de destruction de ce que Dieu a établi. La Providence de Dieu a empêché, comme le note Vladimir Lossky, la création d’être entièrement détruite, mais la nature est devenue un champ de bataille où s’affrontent en permanence le bien et le mal. »

« Mais avec tout le respect que j’ai pour les prières ou les clercs, auxquels vous faites allusion, je suis choqué par leur façon de concevoir Dieu et son action vis-à-vis des hommes. On est là dans une façon de voir qui était courante dans l’Ancien Testament mais que le Nouveau Testament a changée. Il y avait dans l’Ancien Testament l’idée que les justes étaient prospères parce qu’ils étaient récompensés par Dieu, tandis que les pécheurs étaient en toute justice châtiés par toutes sortes de maux. Le Nouveau Testament a mis fin à cette « logique », et sa façon de voir est préfigurée par Job. Les discours du clergé auxquels vous faites allusion ressemblent à ceux des amis de Job, qui correspondent à ce syllogisme : « Tu as toutes sortes de malheurs, donc Dieu t’a puni, et s’il t’a puni c’est parce que tu es pécheur ». Job refuse cette idée que Dieu ait pu le punir. Le Nouveau Testament nous révèle un Dieu d’amour, un Dieu compatissant et miséricordieux, qui a en vue de sauver les hommes au moyen de l’amour, et non au moyen de châtiments. L’idée que Dieu aurait répandu ce virus dans le monde ou l’aurait fait répandre par ses anges ou archanges (comme on le lit effectivement dans certains textes) me parait quasiment blasphématoire, même en se référant à une pédagogie divine qui utiliserait le mal en vue du bien, et ferait donc par là, étrangement, du mal un bien. »

Merci de cette belle clarification à Jean-Claude Larcher !