J’ai
quelquefois l’impression que pour certains croyants, clercs ou laïques, tous
les malheurs frappant collectivement des peuples ou l’humanité sont motivés par
le courroux de Dieu. Étrangement, on ne trouve que très rarement dans leurs
propos la mention du Diable…
J’éprouve
une certaine incompréhension devant cela. Et d’autant plus que parmi les
peuples les plus atrocement frappés, les peuples chrétiens ne sont pas les
derniers.
Que
l’on songe aux grandes exterminations dans le monde depuis la Révolution
française. En premier, d’ailleurs, celles perpétrées dans cette période de notre
histoire : génocide vendéen, colonnes infernales et pontons, massacres de
Lyon, du Vaucluse et déportation au pays basque, massacre des Carmes et
guillotine pour les hébergeurs de prêtres. Châtiment de Dieu ?
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Au milieu du XIVe siècle : la grande famine irlandaise,
châtiment de Dieu ?
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1915 : génocide des Arméniens et autres chrétiens, châtiment de
Dieu ?
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1914-1918 : la gigantesque boucherie de la guerre et après cela, la grippe
espagnole (vingt millions de morts), châtiments de Dieu ?
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1932-1933 : Holodomor, le génocide ukrainien des paysans et des fidèles
catholiques ; et de 1917 à 1940 : extermination à l’infini des
fidèles et du clergé de l’Église orthodoxe. Châtiments de Dieu ?
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1940-1945 : massacre des Polonais, Katyn et autres abominations ;
génocide des juifs. Châtiments de Dieu ?
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1945 : bombe atomique sur Hiroshima et sur Nagasaki, la ville catholique
du Japon. Châtiment de Dieu ?
Et
depuis, les enfers des goulags et du laogaï, le génocide cambodgien, la persécutions
des chrétiens en pays d’islam, les massacres islamistes. Châtiments de
Dieu ?
Que
de peuples chrétiens persécutés, massacrés, exterminés ! Et aussi tant
d’hommes de bonne volonté.
Un
Dieu courroucé qui enverrait ses anges propager des virus diaboliques,
vraiment, cela me laisse songeur.
Et
voici encore que, pour certains, l’incendie de Notre-Dame serait un châtiment
de Dieu ! Pour permettre à Macron de se glorifier de la
« rebâtir » en cinq ans ? Un Dieu donc, destructeur du joyau de
la civilisation médiévale mais pas des
hauts lieux des abjections de la révolution sociétale et de l’art dit
contemporain ?
Aussi
avons-nous lu avec un vif intérêt sur « orthodoxie.com » les
réflexions sur la nature et le sens de la pandémie actuelle du philosophe et
théologien orthodoxe Jean-Claude Larcher. Certaines relèvent des positions
propres à l’Église orthodoxe, notamment pour ce qui est de la communion sous
les deux espèces. Mais, sur l’essentiel, il s’agit d’une belle réflexion
chrétienne sur le mystère du mal.
Extraits :
« Je pense
que dans cette épidémie et dans ses conséquences, le diable est à
l’œuvre. »
« Une
épidémie est une maladie contagieuse qui se répand. On peut en dire tout ce que
l’on dit de la maladie, sauf que le caractère massif qui s’impose à une région,
à un pays, ou au monde entier, comme c’est le cas actuellement, suscite des
questions supplémentaires. Il n’est pas étonnant, dans le discours religieux,
de voir ressurgir le thème de l’Apocalypse, de la fin du monde, ou l’idée d’un
châtiment divin pour les péchés des hommes, avec des allusions au déluge (Gn
6-7), au sort de Sodome et de Gomorrhe (Gn 19), à la peste qui décima le camp
de David après le recensement (2 Sm 24, 15-15) ou aux sept plaies d’Égypte (Ex
7-11). Des mises au point s’imposent donc. »
« Selon la
conception orthodoxe développée par les Pères à partir de la Bible, le péché
ancestral (que l’on appelle dans la tradition occidentale le péché originel) a
eu, sur le plan physique, trois effets : la passibilité (dont la
souffrance est une forme majeure), la corruption (dont la maladie est la forme
principale) et la mort, qui résulte de cette dernière. Le péché d’Adam et Ève a
consisté à se séparer de Dieu, ce qui a eu pour conséquence la perte de la
grâce qui leur assurait l’impassibilité, l’incorruptibilité et l’immortalité.
Adam et Ève étant les prototypes de l’humanité, ils ont en conséquence transmis
à leurs descendants leur nature humaine altérée par les effets délétères de
leur péché ; le désordre qui a affecté la nature humaine, a affecté
également la nature toute entière, car l’homme, séparé de Dieu, a perdu son
statut de roi de la création et a privé les créatures de la grâce qu’il leur
transmettait en tant que médiateur. Alors qu’à l’origine la création était
entièrement bonne, telle que Dieu l’avait créée (selon ce que nous dit le
chapitre 1 de la Genèse), le mal s’est introduit en elle comme en l’homme, un
mal qui n’est pas seulement moral, mais physique, et se traduit par du désordre
qui affecte l’ordre initial de la création, et des processus de destruction de
ce que Dieu a établi. La Providence de Dieu a empêché, comme le note Vladimir
Lossky, la création d’être entièrement détruite, mais la nature est devenue un
champ de bataille où s’affrontent en permanence le bien et le mal. »
« Mais avec
tout le respect que j’ai pour les prières ou les clercs, auxquels vous faites
allusion, je suis choqué par leur façon de concevoir Dieu et son action vis-à-vis
des hommes. On est là dans une façon de voir qui était courante dans l’Ancien
Testament mais que le Nouveau Testament a changée. Il y avait dans l’Ancien
Testament l’idée que les justes étaient prospères parce qu’ils étaient
récompensés par Dieu, tandis que les pécheurs étaient en toute justice châtiés
par toutes sortes de maux. Le Nouveau Testament a mis fin à cette
« logique », et sa façon de voir est préfigurée par Job. Les discours
du clergé auxquels vous faites allusion ressemblent à ceux des amis de Job, qui
correspondent à ce syllogisme : « Tu as toutes sortes de malheurs,
donc Dieu t’a puni, et s’il t’a puni c’est parce que tu es pécheur ». Job
refuse cette idée que Dieu ait pu le punir. Le Nouveau Testament nous révèle un
Dieu d’amour, un Dieu compatissant et miséricordieux, qui a en vue de sauver
les hommes au moyen de l’amour, et non au moyen de châtiments. L’idée que Dieu
aurait répandu ce virus dans le monde ou l’aurait fait répandre par ses anges
ou archanges (comme on le lit effectivement dans certains textes) me parait
quasiment blasphématoire, même en se référant à une pédagogie divine qui
utiliserait le mal en vue du bien, et ferait donc par là, étrangement, du mal
un bien. »
Merci
de cette belle clarification à Jean-Claude Larcher !