C’est
le titre de la conférence que devait donner le mardi 12 février à Albi l’ancien
Grand Maître du Grand Orient de France, Guy Arcizet. Elle a fait l’objet d’une
pleine page de l’édition tarnaise de La Dépêche
du Midi (le journal de la dynastie maçonnique des Baylet), comportant un
état des lieux de la franc-maçonnerie dans le Tarn et surtout un entretien avec
Guy Arcizet titré avec un extrait de son propos : « La maçonnerie, c’est une quête de soi et des autres ».
En
soi cet entretien bien terne n’apporte strictement aucun élément nouveau pour
la connaissance du phénomène maçonnique. Mais il a pour intérêt d’être comme un
échantillon de la propagande maçonnique façon Grand Orient, avec son séculaire
rabâchage d’idéologie laïcarde (à rebours de l’authentique laïcité) et surtout
quelques affirmations historiquement très contestables voire relevant de la
désinformation. Abordons-le donc.
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À la question sur la date de naissance de la franc-maçonnerie, le Grand Maître
Arcizet répond : « En juin
1717, des religieux protestants se sont réunis dans une taverne de Londres,
« L’oie et le grill », pour fonder l’institution. Mais elle existait
très certainement avant. » La nécessaire brièveté d’un entretien
n’excuse pas l’inexactitude.
La
vérité c’est que la franc-maçonnerie est née et s’est développée en
Grande-Bretagne au moins depuis le XIVe siècle à partir
d’associations de libres métiers (« free-masons »), de bâtisseurs
d’édifices religieux (cathédrale d’York) ayant pour finalité l’éducation
morale, la formation professionnelle et l’entraide. Ce, dans un esprit très
catholique comme en témoignent tous les textes fondateurs appelés Old charges (« anciens
devoirs »), en grande partie écrits par des religieux enseignant notamment
le suivi de la messe et l’importance des sacrements et le culte des saints
patrons. On y trouvait l’énoncé des devoirs réciproques des maîtres, des
compagnons et des apprentis, hiérarchie constituant millénairement la structure
fondamentale des métiers d’artisans et bâtisseurs. Somme toute une institution
très semblable à celle, en France, du compagnonnage imprégné de la ferveur
religieuse du Moyen Âge constructeur des cathédrales.
Cette
franc-maçonnerie, fondée sur le travail et l’organisation des métiers, fut plus
tard désignée comme « opérative » (du latin opera : le travail). Elle avait tout simplement comme
structure de fonctionnement les ateliers (encore appelés loges) où les
apprentis apprenaient le métier et où les compagnons œuvraient sous la conduite
des « passés maîtres », instruits aussi des secrets des métiers.
À
partir de l’époque des guerres de religion, les ateliers accueillaient aussi de
plus en plus des réunions discrètes, à l’abri des polices, de rencontre et de
réflexion, religieuse, politique et sociale, en un mot de spéculation. Les
ateliers abritèrent des cercles ainsi déconnectés des préoccupations et
coutumes des chantiers et des métiers. Bien des loges n’en conservèrent que des
rites et des mots déracinés de la réalité mais désormais utilisés à des fins de
spéculations symbolistes dans une culture de secret initiatique. On ne
s’occupait plus essentiellement dans ces ateliers d’activités de construction
mais des « penseurs », hiérarchisés selon des grades aux appellations
grandiloquentes et fantasmagoriques, s’avisaient de reconstruire le monde.
Ainsi se développa, en rupture avec la traditionnelle franc-maçonnerie de
travail, l’opérative, une franc-maçonnerie idéologique dite
« spéculative ».
Les
historiens de la maçonnerie ne savent pas ce qu’il en fut exactement de la
réunion du 24 juin 1717 à la saint Jean d’été, à l’auberge « L’oie et le
grill » (nom aujourd’hui du restaurant du Grand orient). Mais toujours
est-il qu’elle a signifié le divorce entre les deux maçonneries. L’ancien Grand
Maître émet donc une contre-vérité flagrante en assénant que l’institution
maçonnique fut fondée en cette occasion. Ce qui fut créé alors, ce jour-là ou
un autre, ce fut la Grand Loge de Londres.
Le
Grand Maître Arcizet est un peu plus calamiteux en émettant benoitement comme
si c’était une hypothèse personnelle que la franc-maçonnerie existait
certainement avant. Par ailleurs il affirme que ce sont des « religieux protestants »
(sic !) qui se sont réunis à L’oie
et le grill. Outre qu’on ne trouve dans aucun document la liste exhaustive
des participants, il est peu probable qu’ils étaient tous des « religieux protestants ». Et
d’ailleurs qu’entend-il par-là ? Ce qui est sûr, c’est que six ans plus
tard fut publié à Londres le « Livre
des constitutions » attribuées à Anderson, texte fondamental de la
franc-maçonnerie moderne. James Anderson était en effet un pasteur de l’Église
presbytérienne d’Écosse mais « les constitutions » qui portent son
nom furent probablement une œuvre collective dont le rédacteur principal fut
John Desaguliers, fils d’un pasteur protestant de La Rochelle et lui-même
devenu pasteur et chapelain dans l’Église anglicane.
Ces
constitutions n’étaient plus catholiques comme les « Old charges »
mais d’affirmation déiste. Et cette franc-maçonnerie moderne, spéculative,
idéologiquement constructiviste, ne recevait plus des travailleurs mais des
bourgeois et des aristocrates n’ayant plus de pouvoirs réels dans la monarchie
parlementaire mais avides de s’affubler de titres souvent grandiloquents voir
plus extravagants les uns que les autres (« Prince des Serpents
d’Airains », « Grand Inquisiteur Commandeur », « Sublime
Prince du Royal Secret »,…).
Transportée
en France, la franc-maçonnerie spéculative fit naître en 1738 la Grande Loge de
France puis en 1773 le Grand Orient de France avec comme Grand Maître
Louis-Philippe, duc de Chartres, qui deviendra duc d’Orléans et prendra sous la
Révolution le nom de Philippe-Égalité, votant ignoblement à la Convention, le
18 janvier 1793, la condamnation à mort du roi Louis XVI, son cousin. Ce qui ne
lui épargna pas d’être lui-même guillotiné le 6 novembre suivant. En 1877, le
convent du Grand Orient décida de supprimer l’obligation pour les loges de
travailler « à la gloire du Grand
Architecte De L’Univers ». Rupture donc avec le déisme officiel de la
maçonnerie, et engagement toujours plus fort du Grand Orient dans la politique.
C’est la Troisième République maçonnique et radicale.
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Le Grand Maître Arcizet déclare : « On
est passé à une maçonnerie beaucoup plus politique, surtout en France. Fin XIXe
siècle il n’y avait pas de parti politique. Un certain nombre d’hommes sont
venus dans les loges pour construire la république ».La vérité c’est
qu’il y avait en France à la fin du XIXe siècle nombre
d’organisations politiques socialistes, radicales, anarchistes, bonapartistes,
conservatrices, monarchistes… Et par exemple un Jaurès n’éprouva pas besoin
d’entrer en maçonnerie à l’égard de laquelle il n’exprima qu’une certaine
ironie (voir notre livre « Jaurès,
le mythe et la réalité »).
La
vérité c’est que les hommes venus dans les loges s’affairèrent à construire non
pas « la république » mais une République maçonnique ! Une
république violemment anticatholique de persécution du clergé et des fidèles
(expulsion des congrégations, confiscations des biens religieux, fermetures des
collèges…).
Le
Grand Maître dit que cela a donné « les
lois sur l’abolition de l’esclavage, toutes les lois sur la protection
maternelle et infantile ». Toutes ? Bien sûr que non ! Car
comme le reconnaissait le radical Édouard Herriot lui-même (il n’était pas
maçon), de la Restauration jusqu’aux années 1930, les plus actifs défenseurs de
la condition ouvrière et promoteurs de bien des principales mesures ou lois
sociales, avant celles du Front populaire, furent les chrétiens sociaux
(Villermé, Villeneuve-Bargemont, Montalembert, Léon Harmel, Benoit d’Azy,
Lerolle, Albert de Mun, Armand de Melun, La Tour du Pin, etc.).
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Le Grand Maître dit encore : « Puis
est venu le séisme de la Seconde Guerre mondiale. Il y avait 39 000 maçons
en 1940. Persécutés, ils ont disparus des loges et en 1945, 2 000 à
3 000 frères seulement sont revenus. Il a fallu tout remonter ».
Ça,
c’est encore une superbe façon de travestir l’histoire et de manipuler les
chiffres et les mots. Certains, à cette lecture trop rapide d’une expression
ambiguë, pourraient peut-être croire que sur les 39 000 maçons de 1939,
seulement 2 à 3 000 sont revenus des camps. Non, nuance de taille :
c’est le chiffre imprécis de ceux qui selon Arcizet auraient repris leurs
activités maçonniques. Car la vérité c’est que, comme on peut le lire dans la
très maçonnique Encyclopédie de la
franc-maçonnerie, la part prise dans la Résistance par les réseaux
maçonniques n’a pas été absolument négligeable mais tout de même assez peu
importante. Et s’il y eut près d’un millier de « frères » déportés et
cinq cent quarante fusillés, ce fut parce que résistants, nullement parce que
maçons !
La
vérité c’est que la majorité des frères, tout comme la majorité des Français,
ne s’engagèrent pas. La vérité c’est aussi qu’il en eut une petite minorité
dans la collaboration comme dans la résistance. Otto Abetz, l’ambassadeur en
France d’Hitler, ancien franc-maçon, veillait avec Pierre Laval et Marcel Déat,
« amis de la maçonnerie », qui détestaient les anti-maçons de Vichy,
à ce que les maçons ne soient pas réprouvés en tant que tels. Et d’ailleurs le
franc-maçon Peyrouton, gendre de Malvy, emprisonné pendant la Grande Guerre
pour ses activités pacifistes dénoncées par Clémenceau, n’avait-il pas été
nommé ministre de l’Intérieur ?
Monsieur
Arcizet ignore peut-être que dans le Tarn, en 1945, au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe
où on détenait des prisonniers suspects d’avoir été des collaborateurs, il y
avait nombre de militants de Marcel Déat et parmi eux suffisamment de
francs-maçons pour créer une loge dite « sauvage », intitulée « Les orphelins de la Veuve ».
Tout
comme le Parti communiste qui, d’ailleurs, la combattait férocement, la
franc-maçonnerie a eu par trop tendance à se parer des vertus de la Résistance.
Certes pas à la hauteur du parti lénino-stalinien qui persista longtemps à se
proclamer « le parti des 75 000
fusillés », chiffre bidon, finalement ramené dans le journal Le Monde à moins de 4 000, déjà
terrible, bien sûr.
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Le Grand Maître Arcizet égrène ensuite les lieux communs de la logomachie du
Grand Orient. Sur « l’idée laïque
qui, selon lui, serait née au XVIe siècle » alors que la laïcité
authentique est le fait de la parole décisive de Jésus-Christ : « Rendez à César ce qui appartient à
César, et à Dieu, ce qui appartient à Dieu ». Par extension, César est
d’abord devenu un titre puis a signifié l’État. Or, cet État, quand il est sous
le contrôle de la maçonnerie et notamment du Grand Orient comme celui de la IIIe
République radicale ou encore celui du Mexique révolutionnaire ou celui des
dirigeants Jeunes-Turcs, tous maçons organisateurs du génocide arménien, tend à
s’approprier non seulement tout ce qui appartient à Dieu, confisquant les biens
de l’Église, mais ce qui relève de la liberté et du droit des familles :
l’éducation des enfants.
Le
Grand Maître écrit de la laïcité : « C’est
une idée révolutionnaire. On peut accueillir l’autre avec un regard
désintéressé. L’émancipation c’est le fil conducteur. Aujourd’hui on continue à
se poser la question de l’émancipation et de l’idée laïque qui reste un combat.
Ce combat c’est celui de la liberté absolue de penser ». N’est-ce pas
un peu du charabia ? Mais qu’entend-on au Grand Orient par « émancipation » ?
L’embêtant,
c’est que, pour le Grand Orient, la liberté de penser c’est celle de penser
comme l’on y pense. L’embêtant, c’est qu’avec la plupart des autres obédiences
maçonniques, le Grand Orient a approuvé et même inspiré sans cesse le
développement du carcan des lois de police de la pensée soi-disant
antiracistes, et ce avec d’odieux amalgames.
Alors,
prenant le Grand Maître au mot, revendiquons la liberté de penser, après de
longues études historiques, lectures et réflexions, que la puissance trop peu
visible de la franc-maçonnerie est contraire au bon fonctionnement de la
démocratie. En effet, les loges et fraternelles et autres groupements et
cercles de « frangins » qui en procèdent, ne constituent-ils pas à
l’évidence des lieux de connivence et souvent de véritables hiérarchies
parallèles, c’est-à-dire des « pouvoirs non assortis de responsabilités ».
Et
quand certains osent assimiler la critique de l’opposition à la
franc-maçonnerie qualifiée de maçonnophobie et à l’amalgamer avec de
l’antisémitisme, ne se livrent-ils pas à une ignoble désinformation ?
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À la dernière question du très gentil journaliste de La Dépêche du Midi « Que
vous a apporté la franc-maçonnerie ? », l’ancien Grand Maître
répond : « J’ai osé penser
différemment à partir du moment où j’ai été franc-maçon. La maçonnerie, c’est
d’abord une quête de soi-même et des autres, c’est se poser des questions sans
être sûr des réponses. C’est aussi la transmission, la spiritualité et la
transcendance dans un idéal laïque ».
Penser
différemment ? Très bien ! Mais à lire ses réponses toujours dans le
même « blabla grand-orienté », on a plutôt l’impression d’un grand
conformisme. Les dernières phrases enfin sont de celles que l’on trouve sans
originalité à peu près dans toutes les revues de propagande du Grand Orient.
On
aurait préféré que le Grand Maître soit questionné sur ce qu’il entend par « spiritualité et transcendance dans un
idéal laïque ». Spiritualité, sans la connaissance que nous sommes à
la fois corps et esprit et âme ? Étrange ! Transcendance sans la
réflexion rationnelle que pour tout ce qui existe il faut bien qu’il y ait eu
un principe créateur ? Finalement, transcendance sans Dieu ?
À
l’image de ses temples sans ouverture, que ce soit dans les expériences de
l’égrégore ou de l’entéléchie, l’interrogation maçonnique dans toutes les
obédiences ne nous parait être que dans l’introspection. Il y a, nous semble-t-il,
plus de fermeture que d’ouverture, plus de ténèbres terrestres que de lumières
du ciel dans le symbolisme et l’occultisme maçonniques. Les propos de l’ancien
Grand Maître ne nous ont pas effacé cette impression.
Dernier
point encore : La Dépêche du Midi
nous donne les chiffres de quarante-et-une loges dans le Tarn réparties dans
sept obédiences avec un effectif total « entre
1 200 à 1 500 maçons et maçonnes ». Ce n’est pas négligeable
mais en cohérence avec l’effectif national de toutes les obédiences, de l’ordre
de 150 000. Mais l’influence de la maçonnerie ne passe pas que par les
loges. Même si les « fraternelles » interobédientielles dans les
administrations et professions qui étaient les lieux de l’affairisme maçonnique
à l’origine des principaux scandales de la Ve République ont été
officiellement supprimées, en fait elles se sont maintenues sous d’autres noms.
La Dépêche donne encore le montant moyen de l’adhésion à l’année : 300
euros. C’est plus cher que les cotisations des partis politiques.