Hier, l’entrée du juge Neil Gorsuch à la Cour Suprême des Etats-Unis a été confirmée par le Sénat américain : la prestation de serment dans les jardins de la Maison Blanche marquait une victoire politique pour Donald Trump, c’est-à-dire le basculement en faveur des conservateurs de cette institution fondamentale, clef de voûte de la démocratie américaine. La majorité de juges démocrates sous les mandats d’Obama avait avalisé quantité de décisions et lois catastrophiques, en particulier sur l’avortement et le « mariage » homosexuel. Tenant ses promesses de campagne et ayant surmonté de sérieuses embuches parlementaires, Trump a réussi, en plaçant Gorsuch, à donner la prépondérance à la droite et nous ne nous cacherons pas d’espérer que ce changement verra le retour d’une politique pro-vie au niveau de la Constitution, au moins, dans un premier temps, pour défaire les abjections mises en place sous l’administration démocrate.
Neil Gorsuch prêtant serment.
Simultanément, c’est une promesse de campagne tenue et un
espoir pour les valeurs de droite et pro-vie : double bonne nouvelle dont
nous devrions ici, bien que citoyens français, nous réjouir ! Mais que n’entend-on
pas sur Trump depuis le matin du 7 avril ! En réplique à l’attaque au gaz
de combat, perpétrée selon la plus haute probabilité par le régime d’Al Assad
et ayant fait plusieurs dizaines de victimes, dont des femmes et des enfants,
Trump a ordonné la frappe d’une base aérienne syrienne. 59 missiles Tomahawk
ont détruit cet objectif militaire de faible importance, d’ailleurs
vraisemblablement partiellement évacué de ses troupes. Et les experts
autoproclamés en relations internationales, les géopolitologues de zinc et
autres exaltés romantiques des causes exotiques s’offusquèrent à grands cris :
Trump avait tombé le masque, il n’était plus qu’un néo-conservateur aux mains
des faucons et de l’Etat profond, il redevenait un sheriff mondial, ou
potentiellement un « dangereux
interventionniste » (dixit
Hadrien Desuin dans le Figaro). Il trahissait ses engagements de campagne, revenait
à la confrontation de Guerre Froide
avec la Russie de Poutine. Tout y passe depuis quelques jours, dans tout le
nuancier de la droite radicale comme chez certaines grands plumes médiatiques
(on pense ici à Eric Zemmour qui, dans sa chronique matinale sur RTL, était
loin d’être aussi pertinent que d’habitude). Chacun y va de ses invectives, soudainement
devenu docteur en géopolitique proche-orientale, expert en régime baasiste,
baroudeur revenu du front anti-Etat Islamique, j’en
passe et des plus prétentieux.
Derrière nombre de ces réactions, gisent des travers dont il
faut, par humilité, par prudence comme par finesse, se garder à toute force :
- Jouer au spécialiste quand on ne l’est pas. Ce n’est même pas avec un voyage chez Bachar qu’on peut prétendre à une compréhension globale et aiguë de la crise syrienne et de ses multiples ramifications. De même, il est d’une grotesque fatuité de prétendre, derrière son ordinateur ou son steak-frites, connaître les tenants et aboutissants de la politique internationales, les intentions cachées de ses acteurs, les tractations, les rapports de force, les faux-semblants. Ces bavards ont-ils donc le numéro de portable de Poutine, le digicode du Pentagone, les clefs de voiture d’Hassan Rohani et le porte-documents de Netanyahou pour être aussi péremptoires sur le jeu extrêmement complexe de la géopolitique mondiale ?
- Tomber dans l’esprit de système, le manichéisme, le binarisme : tout ce que fait Poutine est bien et il dit toujours la vérité, tout ce que fait Trump sera désormais mal et il mentira toujours. Et inversement. Trump comme Poutine peuvent nous être, à titre personnel, et pour des raisons différentes, très sympathiques, mais il faut se garder des lâtries et des manies, surtout, vieux vice de la droite radicale française, pour des dirigeants étrangers ! Le recul froid, accompagné le cas échéant de la prise en compte permanente des intérêts de notre patrie, devrait être l’objectif de l’observateur sincère et tendant à l’objectivité.
- De même, la souveraineté des Etats doit être promue comme un principe cardinal des relations internationales, mais pas comme un dogme à respecter de manière systématique. On comprend mal comme Eric Zemmour peut condamner la violation de la souveraineté syrienne par Trump quand Al Assad gaze des civiles et louer l’œuvre coloniale française, en particulier en Algérie, ou les interventions des siècles passés pour protéger les chrétiens d’Orient, au Liban en particulier. Rien n’est simple, rien n’est systématique.
- Degré suivant, verser dans la bacharomanie : nous concevons l’attrait de radicalité qu’il y a à soutenir un dictateur. Quand, à l'extrême-gauche, Mélenchon exalte Castro et Chavez, certains à droite ont soutenu et soutiennent pêle-mêle et sans discernement aucun, Franco et Salazar (éminemment différents), Milosevic (on aura tout vu !), Saddam Hussein et les Assad père et fils (et à tout prendre, on peut considérer qu’Hussein fut bien moins pire sur certains plans que les Assad, ses frères ennemis baasistes). Cela ne fait pas une analyse sereine, a fortiori pas une politique.
Alors, comment considérer la frappe décidée par Trump ?
Par notre ami Richard Haddad, qui accède aux meilleures sources, Syriens et
Libanais de toutes tendances, nous apprenons que les relations entre le régime
syrien et les Russes sur le terrain ne sont pas au beau fixe et que les
Iraniens et leurs alliés du Hezbollah, après avoir été marginalisés par les
Russes, souhaitent reprendre l’influence perdue. Se dessine donc un jeu
complexe où l’Iran et Israël jouent leur partition (Israël ayant récemment
attaqué un convoi du Hezbollah sur territoire syrien, et donc avec autorisation
des Russes, maîtres de l’espace aérien). Sur la question de la légitimité de la
frappe, demandons-nous ce qui garantit, si Bachar Al Assad gaze des civils en
zone tenue par Al Qaïda aujourd’hui, qu’il ne gazera pas des chrétiens demain. Le
régime de la minorité alaouite tient depuis son origine sur un système de
terreur et de répression, ce qui peut expliquer en partie ce gazage dont la « rationalité »
échappe à nombre d’Occidentaux. On peut donc penser que Trump avait légitimité,
par une frappe de sommation, à rappeler qu’il y a des limites au déraisonnable
(message aussi valable pour Kim-Jong-Un en Corée du Nord).
Par ailleurs, au lieu d’acclamer à courte vue Poutine « fidèle à ses alliés et gardien des
souverainetés », il faudra voir jusqu’à quel point l’opposition
verbale entre Etats-Unis et Russie ravivée par la frappe américaine n’est pas
seulement une façade, ou un prélude à des négociations sérieuses où chaque
acteur doit arriver en position de force. Même si l’Etat islamique est l’ennemi
prioritaire, Bachar n’est éternel pour personne, pas plus pour la Russie que
pour les Etats-Unis. Nos experts du weekend seraient bien avisés de s’en
souvenir.
Pierre
Henri
Poutine, Assad, Trump: se méfier des simplismes.