mercredi 14 décembre 2016

Proche-Orient : ce n’est jamais si simple !




L’expression « l’Orient compliqué » chère à Jacques Bainville vaut toujours quand on s’efforce de comprendre les événements des Balkans, du Proche-Orient et du Moyen-Orient.
Ailleurs aussi les choses de la politique sont compliquées mais ce qui les rend certainement plus compliquées dans cette zone de la planète, c’est la multiplicité des facteurs, le fantastique enchevêtrement des paramètres politiques et géopolitiques, ethniques, religieux, idéologiques. 

J’observe combien non seulement ceux que je considère comme frères de foi et proches politiquement, mais même de bons commentateurs amis se laissent trop aller à des interprétations que l’on peut qualifier, comme vous voudrez, de sommaires, de binaires, de manichéennes.

Cela est à vrai dire normal, compréhensible. En chacun d’entre nous est le désir de savoir et désigner clairement qui est « le gentil » et qui est « le méchant ». Pour ce qui est du « méchant », bien évidemment, tout le monde s’accorde sur le fait qu’assurément l’État islamique, al-Qaïda et plus généralement les organisations de l’islam sunnite jihadiste constituent une immense abomination terroriste, tortionnaire, sanguinaire. 

Aussi, non sans raisons, la plupart de nos amis manifestent-t-ils spontanément de la sympathie et souhait de victoire de l’armée de Bachar el Assad. Nul doute en effet que si cette dernière avait été vaincue, balayée, cela se serait traduit par un immense massacre exterminateur des minorités constitutives du socle sur lequel tient le régime : en premier les alaouites, ensuite les chrétiens, et les factions des Kurdes certes indépendantistes mais préférant malgré tout la soumission au régime à la férocité de l’État islamique. 

Les choses sont plus compliquées avec les Druzes qui, comme chacun sait, constituent un « peuple-secte » avec des populations principalement en Syrie, en Israël et au Liban. Or justement, comme l’a rapporté Sophie Akl-Chedid dans Présent, d’une part le chef druze libanais Walid Joumblatt a manifesté son inquiétude sur un accroissement de la pression syrienne sur le Liban, de l’autre, c’est Bachar el Assad en personne qui, dans un entretien au quotidien libanais Al Watan, a clairement signifié (bien à la manière de la continuité des Assad père et fils) qu’il ne saurait tolérer une distanciation des liens entre Damas et Beyrouth. 

Voici donc qu’à peine vainqueur à Alep, le régime syrien se préoccupe à l’évidence de renforcer sa main mise sur le Liban d’où sont venus sans cesse à sa rescousse les combattants du Hezbollah chiite. 

Certes le général Aoun, après avoir jadis, il y a plus d’un quart de siècle, combattu l’occupation syrienne du Liban, en est-il devenu un allié, même après l’évacuation militaire en 2005 (mais pas politique et pas celle des services secrets !).

Mais maintenant que ce général « chrétien » intriguant et arriviste a enfin réalisé son rêve d’être président de la République, après un accord avec les chefs sunnites et autres dirigeants chrétiens non inféodés à Damas, voilà qu’il pourrait bien avoir des velléités de se libérer de la trop forte emprise du Hezbollah, donc de la Syrie et de l’Iran.

Or on sait ce qu’ont toujours fait les Assad des dirigeants libanais indépendantistes, chrétiens ou musulmans : de Béchir Gemayel au père Hariri, ils les font assassiner. Aussi, ceux qui aujourd’hui ont tendance à idéaliser le régime syrien puisqu’il est opposé à « l’islamisme » pèchent-ils beaucoup par ignorance et naïveté.  

Je le dis, sans aucune sévérité pour eux. Encore une fois, les choses ne sont pas si simples et je les comprends. Mais je suis de ceux qui sont quelquefois allés au Liban occupé. La mainmise syrienne était abominable, sanguinaire, tortionnaire. Et je me souviens de ma visite des « prisons » de Tripoli après l’évacuation…

Depuis, parce qu’il faut bien choisir le moindre mal, ou le moindre pire, j’ai bien sûr préféré que la Syrie ne tombe pas aux mains des islamistes et donc préféré la victoire des forces de Bachar el Assad et de ses puissants alliés et protecteurs russes et iraniens. Mais cela ne doit pas signifier un retour d’occupation du Liban par la Syrie via l’islamisme Hezbollah. Car l’islamisme chiite n’est pas moins détestable que l’islamisme sunnite.

L’Arabie Saoudite, c’est certes une horreur mais l’Iran, c’est toujours une abomination totalitaire. Un retour en force de la domination syro-iranienne signifierait la fin de l’indépendance du Liban et la réduction en dhimmitude des chrétiens dans le seul pays du monde arabo-musulman où elle n’a pu être imposée au long des siècles. Ce serait une catastrophe géopolitique et humaine. Aujourd’hui comme hier, notre patriotisme  français et notre doctrine de chrétienté légitiment le slogan « Syrie, hors du Liban ! ».