Le 15 février dernier, jour de l’Épiphanie chez les
orthodoxes, ils sont sortis de la cathédrale saint Basile, place Rouge, portant
chacun un important bidon d’eau bénite frappé d’une croix.
Le
mausolée, où est toujours entreposée la charogne sans cesse resiliconée du
grand criminel contre l’humanité Lénine, est à deux pas. Evgueni Avilov et Oleg
Bassov les franchissent prestement, sautent la chaîne qui délimite le triste
monument et puis en aspergent abondamment la porte d’entrée, hélas pas ouverte
à ce moment-là, en proférant d’une voix forte : « Lève-toi et
marche ! »
Superbe
geste de dérision à destination des nostalgiques du paradis terrestre
bolchévique qui affirment toujours que Vladimir Illitch Oulianov, dit Lénine,
est immortel. Et puis, mission accomplie, Evgueni et Oleg se laissent sans
résistance amener par les vigiles. Cette aspersion s’est soldée par une garde à
vue et une condamnation à dix jours de prison.
On
dira avec raison que ce n’est pas beaucoup et qu’avant la chute de l’URSS, cela
leur eût certainement valu une peine autrement lourde.
La
vérité aussi, c’est que si l’actuel maître de la Russie et de ses territoires
annexes entend assumer et honorer le passé lénino-stalinien de son empire, il
sait fort bien aussi que même si l’on en efface systématiquement les traces, la
mémoire des exterminations et des goulags demeure vive chez des dizaines de
millions de Russes proches des victimes, plus nombreux que de ceux partisans
des bourreaux.
Alors,
même si, comme ce dernier samedi, des milliers de ses fidèles ont défilé à
Moscou sous une marée de drapeaux rouges, Poutine ne peut réprimer durement
d’inoffensifs fidèles de la puissante Église orthodoxe dont le soutien lui est
indispensable !
Pour
l’heure encore, il est vrai, il n’est pas redevenu obligatoire en Russie de
vénérer l’initiateur de soixante-dix ans de régime terroriste et massacreur.
Mais
d’autre part, dans le Donbass ukrainien, les partisans dits
« indépendantistes », c’est-à-dire en fait pour le rattachement à la
Russie, sont, semble-t-il, majoritairement des nostalgiques soviétophiles. Ils
sont en effet souvent issus des populations russo-bolchéviques implantées par
Staline pour combler partiellement les immenses vides causés par les exterminations
de l’Holodomor et des autres massacres de masse.
Certes,
Poutine a déclaré en substance que l’effondrement de l’URSS avait été un grand
malheur mais que vouloir la rebâtir serait une folie. Son attitude jusqu’ici
vis-à-vis de tout le passé de la Russie est donc de l’assumer en bloc,
c’est-à-dire de tout glorifier : Lénine et Staline y compris, et la Tchéka
aussi, avec son fondateur Dzerjinski, dont la statue est toujours à la
Loubianka, l’immeuble central de la continuité, Guépéou, NKVD, KGB, FSB où ont
été exécutés, selon les chiffres officiels, plus de cinq millions de victimes.
On ne saurait rationnellement reprocher à Poutine d’avoir été un officier du
KGB-FSB. Ce fut en effet la pépinière essentielle de la formation des élites
soviétiques jusqu’en 1991.
Mais lui, qui avait un jour, deux heures durant, rencontré
Soljenitsyne, non sans lui avoir apporté des fleurs, le moins qu’on puisse dire
est qu’il n’a pas pour le moment accédé à la requête essentielle de ce
dernier : enlever la charogne du monstre Lénine de la Place Rouge. Cette
dernière n’est d’ailleurs pas du tout appelée ainsi pour une raison
révolutionnaire. Elle était ainsi baptisée, bien avant la révolution sanglante,
pour la couleur du Kremlin et des autres monuments.
Poutine
est certes mieux que notre Clémenceau qui, lui, entendait assumer « en
bloc » toute notre Révolution sans étendre cet « en bloc » à
toute notre histoire, Ancien Régime compris. Poutine, lui, honore Staline comme
Ivan le Terrible.
Or,
ne rien occulter de l’histoire ne signifie pas qu’il faille tout en assumer,
n’implique pas de tout en approuver. La véritable tradition patriotique ne peut
être que critique. Pour ce qui est de l’histoire russe et l’honneur de son
peuple, elle implique de rejeter ce que Vladimir Volkoff a justement désigné comme « la Trinité
du Mal » : Lénine, Trotski, Staline.
Soljenitsyne
considérait que, tant que Lénine n’aurait pas été enterré ailleurs, ce serait
le signe de ce que la Russie ne serait pas encore pleinement libérée. Car de la
charogne pourraient toujours se dégager des effluves démoniaques.
En
attendant, pour le conjurer, il est heureux qu’Oleg et Evgueni aient largement
prodigué de l’eau bénite en ce lieu. Car c’est le meilleur moyen pour conjurer
les démons, même ceux du bolchévisme.