Il
faudrait que je retrouve dans son œuvre considérable le texte complet dans
lequel le grand historien Jacques Bainville, dont la réflexion portait sur les
constantes de l’histoire, écrivait qu’il était prêt à parier que « dans
soixante ans la question d’Orient se poserait à peu près de la même
façon ». Le temps a passé, bien plus que soixante ans, et la fameuse
question d’Orient qui était en gros celle des tensions balkaniques d’où surgit
la guerre de 1914 (attentat de Sarajevo) n’a jamais cessé d’agiter l’Europe.
Certes,
elle ne se pose plus tout à fait de la même façon. Mais les Balkans constituent
toujours une zone tellurique. Il y a peu, c’était la guerre dans
l’ex-Yougoslavie. Aujourd’hui, voici le retour en force de la Grèce dans… la
question européenne.
Et
les imbéciles de l’idéologie euromantique qui l’ont inconsidérément fait
rentrer dans l’Union Européenne ne vont pas cesser de sitôt de s’en mordre les
doigts.
Les
déterminants fondamentaux des Balkans, géopolitiques et historiques demeurent,
mais bien sûr avec les fortes évolutions du XX° siècle :
-
La civilisation byzantine, le monde orthodoxe, avec ses multiples patriarcats
quelquefois antagonistes (Kiev-Moscou) et ses multiples Églises autocéphales.
-
La Russie, dans sa constante césaro-papiste, sa synthèse lénino-orthodoxe, sa
politique séculaire d’ouverture aux mers chaudes, ses stratégies difficiles et
subtiles par rapport aux deux branches principales de l’islam.
- La Turquie, l’ennemi héréditaire de la Russie, majoritairement
sunnite. Turquie puissance islamo-asiatique mais avec sa partie d’autant moins
négligeable de territoire en Europe que ce fut celui de Constantinople, mise à
mort en 1453 pour laisser place à l’islamique Istanbul.
-
La Grèce enfin, un des antiques creusets essentiels de notre civilisation mais
à l’identité écrabouillée sous près de six siècles de régime du
« devchirmé » (1 enfant sur 5 prélevé pour devenir janissaire). Et ce
n’est pas en moins d’un siècle, entrecoupé d’une guerre mondiale suivie d’une
guerre civile, que se construit un État moderne.
Moscou,
Athènes, les deux principales capitales
libres de l’islam aujourd’hui dans le monde orthodoxe : celle de la petite
Grèce si anémiée où toute notre Europe est née, celle de l’immense Russie, sa
fille protectrice.
La
Grèce, perclue de vieillesse, de corruption et d’humiliation conséquente mais
qui va servir dans le jeu de la stratégie poutinienne.
Car
le maître du Kremlin est habile à faire converger, sinon dans une synthèse, du
moins dans une attirance russophile circonstancielle, les partis européens
venus de l‘extrême-gauche ou de l’extrême-droite, c’est-à-dire de ce que les
médias désignent sous le terme de populisme.
Selon
les pays, c’est la force de gauche, comme en Grèce, qui est l’élément moteur de
cette nouvelle alternative nationale et sociale ou, comme en France, c’est de
la droite qu’elle vient principalement.
Si
bien que pour la première fois dans notre histoire, l’évolution de la Grèce
pourra peser sur notre vie politique : selon que Syriza réussira ou
échouera.
Quoi
qu’il en soit, qui aurait pu prévoir qu’un quart de siècle après la chute du
Mur de Berlin la diplomatie d’un État russe, à la fois héritier de Lénine et de
Pierre Le Grand, puisse jouer sur des convergences objectives à l’Ouest entre
différents tenants des variantes du souverainisme et de
l’archéo-léninisme ?