J’ai découvert hier dans Le Figaro du 5
janvier avec un grand intérêt la pleine page du reportage consacré à « Kazuo
Inamori, patron de légende et moine boudhiste » et présenté en texte
d’accroche « créateur de deux empires industriels, sauveur de Japan
Airlines, devenu gourou du management ». Tilt !
J’y ai lu en effet avec jubilation les
simples lignes suivantes : « L’entrepreneur japonais a géré ses
sociétés en divisant ses effectifs en petites équipes autonomes, responsables
de leur budget et de leurs objectifs, les « amibes » capables de se
diviser à mesure qu’évolue l’entreprise ».
C’était tout simplement là, comme un
excellent de ces textes par lesquels au siècle dernier, les acteurs de la
rénovation de l’organisation du travail, pouvaient résumer l’œuvre essentielle
dans la pensée et dans l’action de Hyacinthe Dubreuil. Ce dernier, né en 1883
et mort en 1971 fut d’abord un ouvrier métallurgiste. Non pas un idéologue mais
un remarquable penseur à partir du réel, à partir de sa riche expérience qu’il
développa notamment en allant de 1927 à 1929 étudier le travail industriel en
Amérique, se faisant notamment embaucher dans une usine de la General Motors à
Syracuse, ou encore chez White Co à Cleveland, enfin chez Ford à
Detroit. Cela, comme il l’écrivait dans son livre « Standards »,
selon « la tradition du tour de France ». « Standards »
est sous-titré « Le travail américain vu par un ouvrier français ».
Ce fut là une remarquable réflexion sur les applications de la pensée du grand
ingénieur Frederick Winslow Taylor sur l’organisation scientifique du travail.
Dubreuil en dégagea ce qu’elle avait apporté et aussi ce que la « division
du travail » érigée en principe allait secréter de catastrophique.
Dubreuil avait été un de ces grands
syndicalistes de la C.G.T. du temps où celle-ci n’était pas tombée entre les
mains des communistes qui avaient fait en 1922 la scission
« C.G.T.-U » faute de pouvoir s’en emparer.
Ses idées étaient à l’opposé de
l’idéologie marxiste. Pour en finir avec la triste condition du prolétaire,
Dubreuil puisant dans la très riche expérience française du compagnonnage œuvra
remarquablement pour que l’ouvrier redevienne propriétaire de son travail.
Il fut notamment appuyé par l’Association
ouvrière des compagnons du devoir (Rue de l’Hôtel de Ville), réanimée par
l’homme remarquable que fut Jean Bernard (qui faisait appel à... Henri
Charlier).
Hyacinthe Dubreuil fut de ces grands
syndicalistes et penseurs ouvriers appelés dans le cadre de la Révolution
nationale de l’État français à réfléchir la rénovation de l’organisation du
travail et des relations du travail. Il publia à cette fin en 1941 un maître
livre : « La chevalerie du travail » dédié au maréchal
Pétain. Nullement inquiété pour cela à la Libération et d’ailleurs farouchement
antinazi, il fut très admiré par les éphémères théoriciens gaullistes de la
doctrine de « l’association capital-travail » et aussi par le célèbre
ingénieur et dirigeant de grande entreprise Louis Armand, Compagnon de la
Libération qui fut le président de l’Euratom, et par ailleurs membre de
l’Académie française.
Le concept de « l’équipe autonome du
travail » est au centre de l’œuvre de Dubreuil. Il n’en a jamais donné une
recette unique mais une idée à adapter selon l’immense diversité des
entreprises. Cela a notamment inspiré les « ilots » de nos usines de
fabrication aéronautique à Marignane ou Blagnac et Colomiers près de Toulouse.
Il est significatif que le mardi 7 avril 1981 ait été inaugurée dans cette
ville la rue qui porte son nom où le soir même, à la Maison des compagnons du
devoir était évoqué sa pensée et son action. Je pus évoquer dans un riche débat
le constat si agréable de ce que comme l’avait préconisé Dubreuil, une de nos
plus modernes et performantes industries puisait dans la tradition séculaire du
compagnonnage une riche inspiration pour son organisation et la diffusion de la
propriété du travail.
Liberté, Solidarité, Tradition, Ordre et
progrès tels étaient les maîtres mots de Hyacinthe Dubreuil.
N.B. : Beaucoup des livres de
Hyacinthe Dubreuil ont été édités il y a longtemps chez Grasset. Et d’autres
dans les années 1960 aux Éditions de l’Entreprise Moderne. D’autres encore par
la Librairie du Compagnonnage où on peut sans doute encore, je l’espère, les
acheter (82 Rue de l’Hôtel de Ville dans le 4e).