À lire les derniers écrits de Dominique Venner préparant son suicide, il semble bien que l’instauration du pseudo-mariage ait constitué à ses yeux une abomination de la décadence affectant notre société ; en quoi il n’était pas en accord avec ceux des responsables politiques du mouvement national qui avaient déclaré n’y voir qu’une manœuvre politicienne « d’enfumage » ne justifiant somme toute pas une forte activité dans l’opposition au projet de loi.
Ce suicide, ce mardi 21 mai, dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, n’en appelle pas moins plusieurs considérations.
Le présentant comme un geste en quelque sorte d’ultime protestation, à l’évidence Dominique Venner a perpétré ainsi comme l’acte final d’un voyage au bout du désespoir. Ainsi jugeait-il ne plus pouvoir agir, en vivant, contre ce qui, à ses yeux, précipitait encore la décomposition de notre peuple européen, la valeur suprême pour lui.
Cet homme qui s’affirmait comme un acharné païen de longue mémoire a choisi tout de même une protestation de sens éminemment ambivalent car il ne s’est pas donné la mort en invoquant les dieux de la forêt cher à l’imaginaire néo-païen de son clan militant. Il n’a pas dit vouloir rejoindre Thor et Odin dans le walhalla de la mythologie germanique. Il ne croyait pas à ces dieux.
Il s’est tué dans la cathédrale d’une religion qu’il abhorrait : devant le lieu même pour les chrétiens de la présence sacrificielle sans cesse renouvelée du Dieu auquel il affirma jusqu’au bout ne pas croire puisqu’affirmant qu’il n’y avait que néant après la vie.
Pourtant, ce n’est tout de même évidemment pas pour dérisoirement choquer le bourgeois « catho » ou exprimer sa vindicte contre un trop tiède clergé qu’il s’est flingué en ce lieu. Non, car son geste provocateur, qui ne le sent, a été par-delà l’expression évidente d’un ultime dépit, d’un dernier orgueilleux défi, celui d’une insurrection finale contre un Dieu chargé par lui de tous les péchés du christianisme contre sa race. Étrange et terrible geste, à sa manière de nature religieuse dans l’exécration du religieux ; geste de reconnaissance de Dieu dans l’acharnement même à proclamer une dernière fois son inexistence. Peut-on, comme Nietzsche, passer sa vie à nier ce qui n’existerait pas ? Quel temps perdu alors !
A la différence de Maurras, Venner ne s’est hélas pas « endormi entre les bras de l’espérance et de l’amour ».
Historien passionné et souvent passionnant, Dominique Venner connaissait sans aucun doute l’histoire de Thomas Beckett, l’archevêque de Canterbury assassiné en sa cathédrale le 29 décembre 1170 par Henri II Plantagenêt. Peut-être avait-il lu sur ce fait la superbe pièce de Thomas Stearn Eliot où est bellement campé le conflit entre le spirituel et le temporel et plus superbement encore le mystère de la rédemption ?
Dominique Venner a été malheureusement jusqu’au bout fermé à ce mystère de l’amour du Christ. Il n’a donc pas été tué pour la foi mais il s’est suicidé dans une gestuelle de tragédie méditée et préparée dans l’affirmation de ne point l’avoir. On ne lui fera pas l’injure de lui dire un Adieu : non sans la secrète espérance que ce Dieu ne l’ait point laissé demeurer dans son choix du néant.
Article paru dans Présent du samedi 25 mai 2013.
Article paru dans Présent du samedi 25 mai 2013.