samedi 5 juillet 2025

Les libres propos d’Alain Sanders

 C’est parti pour un tour…!

Le Tour de France, c’est la légende des cycles !

Il y a plus d’un siècle – 122 ans précisément –, un 1er juillet 1903, à 15h16, le premier Tour de France prenait son essor devant une petite auberge de Montgeron (Essonne), Le Réveil Matin.

Ils étaient alors 60 au départ, des « forçats de la route », des desservants de la Petite Reine, partis pour couvrir 2430 km en dix-neuf jours ! Parmi eux, le bientôt légendaire vainqueur du premier Tour de France, Maurice Garin. L’étape du jour ? Oh, presque une promenade de santé : Montgeron-Lyon… Les rescapés y arriveront le lendemain, vers 9 heures du matin (pour les plus résistants). A peine le temps de se refaire la cerise et nouveau départ. A la fin de l’épopée, ils ne seront plus que 21…

Ces personnages de la légende des cycles ont tous eu – ceux dotés d’une forte personnalité au moins – et jusque de nos jours, des surnoms évocateurs. Maurice Garin, c’était le « Bouledogue blanc » ; Lucien Pothier, le « Boucher de Sens » ; André Lapize (vainqueur du Tour en 1910), le « Frisé »*. Charles Pélissier (9e au Tour de 1930), adulé des dames, était simplement, à partir de son prénom, « Charlot ». Comme Jean Alavoine (2e au en 1919) était « le gars Jean ». Autre chouchou des dames, le très élégant André Leducq (vainqueur en 1930 et en 1932) était tout naturellement « Gueule d’Amour ». Quant à René Le Grèves (15e en 1935), rouleur-sprinteur du légendaire Vélo Club de Levallois, il fut pourtant connu sous le surnom de « P’tit gars de Suresnes ».

Beaucoup de surnoms flatteurs. D’autres nettement moins… Pas sûr, par exemple, que Maurice Archambault (5e en 1933)  ait apprécié – lui qui fut recordman de l’heure de 1937 à 1942), d’être appelé le « Nabot »… Surnom dérisoire aussi que celui du valeureux Eugène Christophe (2e en 1912) qui avait 40 ans lors de sa dernière participation à la Grande Boucle : « Cricri ». Plus valorisant, en revanche, le sobriquet de Laurent Fignon (vainqueur en 1983 et 1984) : « l’Intello ». 

Dévoreur de routes et de succès, Eddy Merckx fut le « Cannibale ». Bernard Hinault, opiniâtre et structuré dans sa tête et dans son corps, fut le « Blaireau ». Robic, Breton têtu et rageur (parfois peu aimé dans le peloton), eut droit à dix surnoms dont « Biquet » et le « Nain jaune ». 

Si Poulidor fut pour le public qui, paraît-il, le préférait au Normand Jacques Anquetil (alias « Le Grand »), un « Poupou » de circonstance, Laurent Jalabert devint « Jaja », Miguel Indurain, grand d’Espagne s’il en fut, fut surnommé le « Roi Soleil » et l’immense Federico Bahamontes (que j’adorais), l’ « Aigle de Tolède ».

Les pionniers du Tour de France, hélas oubliés aujourd’hui (pas toujours : la preuve que non), portèrent leurs surnoms comme des titres de noblesse. Pagie : le « Prince de la mine » ; Dargassies : le « Forgeron de Grisolles » ; Fisher : le « Grimpeur » ; Pasquier : le « Barbu volant » ; Monachon : le « Pédaleur du talon » ; Foureaux : le « Champion des menuisiers » ; etc.

Comment, lorsqu’on parle du Tour de France, ne pas évoquer le souvenir d’Antoine Blondin ? Chaque mois de juillet, de 1954 à 1982, il suivit le Tour et écrivit des centaines de chroniques pour L’Equipe. Les Editions de la Table Ronde ont naguère publié une anthologie de ces textes (près de mille pages !). A lire aussi son Sur le Tour de France (La Table Ronde). Avec des calembours qui, des années après, continuent de faire le bonheur des connaisseurs : à propos d’un coureur lâché dans le Limousin : « C’est la fameuse défaillance de Limoges » ; un jour où Robic fut contré : « On a trouvé le sérum anti-Robic » ; la bise donnée (jadis…) au vainqueur de l’étape par une belle jeune fille : « Ces brèves rencontres au nom de la raison d’étape » ; sur le mont Ventoux : « Le véritable roi Pelé » ; sur un peloton en débandade dans l’Essonne: « Le front se dégarnit près d’Etampes » ; etc.

Avec Blondin, le Tour de France devenait une promenade buissonnière, une humeur vagabonde, une saga pour le populo roi, pour les gens de chez nous. Avec des héros à la hauteur de l’histoire : Bobet, Coppi, Bartali, Rivière Geminiani, Koblet, Anglade, Kübler, Van Steenbergen, etc.

C’est Jacques Goddet, directeur de L’Equipe et amateur de belles lettres, qui confia à Blondin le soin de couvrir le Tour en lui donnant une véritable dimension littéraire. « J’écris sous la dictée du Tour de France », disait Blondin. Avec un formidable résultat : des images, des fulgurances d’écriture, une patte que personne ne retrouva après lui. Pour dire le plus grand événement encyclo-pédique de tous les temps. Aujourd’hui que les géants de la route sont repartis pour la grande aventure, on accompagnera leurs exploits en relisant celui qui fut le Commynes – et même, en référence à ceux qui montent en danseuse, le « Commynes croupier » – d’une histoire qui ne manqua jamais de selles… Avec, in fine, signé Blondin, ce délicieux pastiche villonnesque :


« Où sont Gino, Fausto, Robic

« Et Eddy Merckx jamais lassé

« Kübler, Koblet, dans l’alambic

« Où se distille le succès

« Sans omettre Luis et Louison

« Anquetil qui nous en dit tant

« Thévenet en d’autres saisons

« Mais où sont les mecs d’antan ?

« Où est le vaillant Poulidor

« Qui ne conquit point la toison

« C’est l’homme en lui qui était d’or

« Mais où sont les mecs d’antan ? »


Alain Sanders


• Surnom paradoxal pour un homme qui sera tué le 14 juillet 1917 dans un combat aérien contre les « Frisés »…